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Ukraine : Témoignages poignants de journalistes en exil

Une histoire du projet
Comme à la maison : c’est ainsi que sont accueillis les journalistes ukrainiens et ukrainiennes en résidence à Bucarest dans le cadre du projet Yak Vdoma, développé par CFI et France Médias Monde. Comment vit-on l’exil de son pays en guerre ? Comment fait-on son travail de journaliste face à un conflit qui se mène aussi sur le terrain de l’information ? Autant de questions complexes auxquelles ont accepté de répondre une poignée de résident•es, rencontré•es à Bucarest en 2023.

Les résident·e·s de Yak Vdoma

Résidence journalistique créée après le déclenchement du conflit ukrainien dans la capitale du pays voisin, Bucarest, en Roumanie, Yak Vdoma ("comme à la maison", en ukrainien) constitue plus que jamais l'un des soutiens régionaux incontournables offerts aux journalistes d'Ukraine.

Mise en place conjointement par CFI et France Médias Monde (FMM), la résidence garantit la sécurité des médias ukrainiens fragilisés par la guerre, ainsi qu’un environnement favorable pour que le conflit puisse être couvert de manière indépendante et sûre. Une mise à l'abri dans un pays ami pour ces journalistes ainsi que leur famille, mais aussi un espace de travail dans des conditions professionnelles et adaptées à la réalité de ces femmes et hommes exerçant leur métier à distance : un soutien financier, matériel, logistique et psycho-social, des formations et des rencontres leur permettant d'élargir leurs compétences et leur appréhension du conflit.

Le projet Yak Vdoma s'est bien entendu étoffé au fil des mois. Un bon nombre de participants et participantes se sont déjà succédé à Bucarest avec des profils et besoins spécifiques. Nous avons rencontré sept de ces journalistes au tout début de l’année 2023. Notre démarche était double : réaliser des portraits pour rendre hommage à leur courage, mais aussi raconter en sons et en voix ce qui anime leur travail et leur existence bouleversée par la puissance d'un conflit aux conséquences tragiques. Chacun d'entre eux ou plutôt chacune d’entre elles, puisque 6 des 7 journalistes rencontrées étaient des femmes a constitué une rencontre forte.

De Ksenia Kalieberda, exilée de sa ville de Kherson qu'elle a dû fuir à plusieurs reprises et dont elle s'est faite la voix pour raconter la vie de ses habitants et de ses proches, à Taisia Bakharieva qui a choisi, elle, de donner la parole aux Ukrainiennes (ses "héroïnes", comme elle les nomment affectueusement) qui couvrent la guerre au front, en passant par Yulia Fumichova, elle aussi préoccupée par le sort de toutes ces femmes ukrainiennes actuellement éparpillées dans l'Europe entière et dont elle se fait l'écho dans son travail ; Yak Vdoma se veut être la voix d'un journalisme au plus près de celles et ceux qui subissent le conflit de pleine force dans leur chair et dans leur tête. 

Critique d'art et curateur, Konstiantyn Doroshenko s’attache, lui, à mettre des mots sur ce qui traverse la vie artistique ukrainienne depuis l'invasion russe, dressant un miroir de l'incroyable vigueur d'une société vent debout contre le totalitarisme.  
Une capacité de résilience que scrute là aussi Oksana Gryshyna au travers des initiatives des citoyens et des autorités pour redresser et reconstruire l'Ukraine, dès aujourd'hui, quand Olena Dyachuk se fait, elle, le témoin des difficultés que le système d'éducation ukrainien doit surmonter pour continuer à offrir des perspectives aux nouvelles générations. 

Autre rencontre et autre approche journalistique, essentielle là aussi, celle de la journaliste de télévision Yana Skoryna qui a choisi de profiter de son passage à Bucarest pour raconter le conflit de manière excentrée, sous le prisme de la coopération roumano-ukrainienne en matière notamment de prise en charge des personnes réfugiées. 

Autant de thématiques riches, diverses et variées, essentielles dans l'Ukraine d'aujourd'hui et qui témoignent de la vitalité du journalisme dans le pays… ainsi que la nécessité du projet Yak Vdoma.  
 

Enjeux, fonctionnement et objectifs de Yak Vdoma

Faire en sorte que des journalistes ukrainien·nes se sentent "comme à la maison" en Roumanie, et puissent travailler dans de bonnes conditions : telle est la raison d'être de Yak Vdoma. Inaugurée en septembre 2022 dans la capitale roumaine, la résidence a de fait une portée régionale, aux ramifications multiples. Des enjeux que maîtrisent parfaitement Angela Gramada, coordinatrice de Yak Vdoma à Bucarest et originaire de République de Moldavie, et Timothée de Maillard, responsable de projet chez CFI, pour qui il est fondamental "de laisser une totale liberté aux journalistes dans leur projets éditoriaux, sans en juger le contenu". Un défi de taille, vital pour ces professionnel.les  et plus largement pour un pays entier agressé par des forces armées et par la machine de propagande implacable du Kremlin. 

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Enjeux, fonctionnement et objectifs de Yak Vdoma
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Enjeux, fonctionnement et objectifs de Yak Vdoma 

Introduction  

Face à l'urgence de la situation pour les journalistes en Ukraine, CFI, en partenariat avec RFI Roumanie et France médias Monde, a mis en place la résidence Yak Vdoma. Un projet financé par le ministère des Affaires étrangères français pour garantir la pluralité des informations côté ukrainien et lutter contre la propagande du Kremlin. Cette résidence inaugurée en septembre 2022 dans la capitale roumaine Bucarest on la découvre avec Angela Gramada, coordinatrice du projet sur place. Angela connaît parfaitement les enjeux régionaux : originaire de république de Moldavie elle a crée en Roumanie, après ses études doctorales à Bucarest, un centre de recherche sur l'espace post-soviétique. Dès 2012 elle s'est notamment spécialisée sur les enjeux du voisin ukrainien.  

Son Angela à 45 secs

Bonjour, bienvenu dans nos bureaux. Allez-y entrez, après vous. Ici se trouve les bureaux Yak Vdoma ainsi que ceux de la rédaction de RFI Ukraine qui a aussi ouvert une antenne en juillet 2021.  Voici certains de nos collègues à Yak Vodma en train de travailler. Je vais vous en présenter quelques uns. Ici voici Olena : « Dobri Den, bonjour Olena ». Elle est l'une des premières à avoir intégrée le projet Yak Vdoma. Elle traite de sujets en lien avec l'éducation. Juste à côté il y a Oksana qui elle travaille pour Interfax Ukraine, une agence de presse ukrainienne. Ses sujets de prédilection à elle ont un lien avec l'économie. Ici elle travaille spécifiquement sur tout ce qui touche au redressement économique de l'Ukraine, pendant la guerre mais aussi après. Ces bureaux sont à leur disposition et ils peuvent venir travailler quand ils en ont besoin.

Relance Benjamin  à 1min56

Le soutien apporté à ces journalistes est donc en premier lieu matériel et logistique. Mais pas seulement c'est ça ?

Son Angela  à 2min06

On les aide déjà d'un point de vue technique. Ils ont un accès internet mais aussi à des bancs de montage vidéo installés sur ces ordinateurs. Pour ceux  qui veulent pourvoir travailler de chez eux il y a également des ordinateurs portables que Yak Vdoma leur met à disposition avec là aussi des logiciels de montage vidéos et sons. Nous avons également fourni des enregistreurs et des appareils photo à ceux qui en avaient besoin.J'ai un collègue qui s'occupe spécifiquement de tous ces aspects techniques. Mais notre assistance ne se limite pas à ça : on les aide aussi par exemple quand ils ont besoin de contacts locaux ici en Roumanie : avec des institutions publiques, des experts, d'autres journalistes, ou encore des organisations non-gouvernementales. Certains d'entre eux travaillent en effet sur les conséquences de la guerre en Ukraine ici en Roumanie et notamment l'impact sur la société civile ; ils ont donc besoin de contacts. Au delà de ces questions notre mission consiste aussi de les faire participer à des événements ou des rencontres parfois même hors de Bucarest pour qu'ils comprennent les enjeux locaux et régionaux et que cela fasse évoluer leurs perspectives à court et moyen terme.         

Relance Benjamin à 3min51

On parle donc bien une résidence et non pas d'une rédaction à proprement parler. Ces journalistes travaillent en effet chacun sur sa thématique c'est bien ça ?

Son Angela  à 4min03

Oui, c'est ça. Cela s'explique déjà par la sélection des participants. Les journalistes qui participent à ce projet ne viennent pas d'une région en particulier ou ne travaillent pas pour une seule et même rédaction qui aurait été déplacée ici à Bucarest. Non, ils viennent d'horizons différents et de tout le pays, certains sont de régions qui ont été ou sont encore occupées à l'heure actuelle. Tenez regardez Olena par exemple, elle est doublement réfugiée : elles est originaire de l'est de l'Ukraine puis elle a dû se réfugier à Kharkov en 2014 au moment du déclenchement des opérations militaires dans l'est de l'Ukraine. Avant là encore de s'enfuir à nouveau, d'abord en Pologne et c'est ensuite qu'elle est venue ici. Elle n'est pas à Bucarest en tant que réfugiée : elle bénéficie d'un statut de protection temporaire et elle travaille toujours pour la même rédaction ukrainienne. Oksana, elle, est de Kiev. On a aussi des journalistes de Kherson qui possèdent des parents dans les zones occupées actuellement. Certains sont de Ternopil dans l'ouest d'un pays. On en attend actuellement d'autres qui eux sont de Odessa. Ils travaillent tous pour des rédactions différentes. On n'a pas essayer de favoriser une publication ou un journal plus qu'un autre pour participer à ce projet. Enfin, il faut préciser que le contenu qu'ils réalisent est publié en Ukraine. Nous n'avons pas ici de site particulier, notre but est vraiment de soutenir leur contenu éditorial et les projets individuels de chacun d'entre eux.  

Transition Benjamin  à 5min52

Timothée de Maillard travaille pour CFI. C'est lui qui est responsable de ce projet de hub à Bucarest. Il a l'avantage de bien connaître la zone ex-soviétique et notamment l'Ukraine où il a vécu pendant 5 ans entre 2015 et 2020. La décision d'installer la résidence Yak Vdoma en Roumanie s'est imposée comme une évidence pour le projet du fait de la présence depuis 30 ans d'un média francophone influent à Bucarest, le poste de radio RFI en langue roumaine. C'était aussi l'occasion de créer des ponts entre deux pays, l'Ukraine et la Roumanie donc, qui entretiennent peu de liens malgré une frontière commune longue de pas moins de 649 km.

Son Timothée de Maillard  à 6min27

C'est un peu deux pays assis côte à côte mais qui ont au final peut d'échanges et donc ce projet de hub de résidence est aussi un moment qui permet finalement, par le biais de l'appui aux journalistes indépendants ukrainiens, d'avoir des échanges plus conséquents entre l'Ukraine et la Roumanie. D'avoir des journalistes ukrainiens qui découvrent la Roumanie et qui se font quand ils quittent la résidence et repartent pour certains en Ukraine un peu des ambassadeurs de ce qui s'est passé en Roumanie et donc vont être  vecteurs d'échanges dans différents domaines. Et comme au cours de leur résidence il y a tout un programme qui est mis en place avec des partenaires locaux ils se font aussi ambassadeurs de l'Ukraine en Roumanie pour apporter aussi une connaissance plus humaine du pays et pouvoir aussi intervenir sur des éléments liés à d'éventuelles désinformations de propagande russe qui peut être active comme elle est active dans le monde entier. Même si le degré de pénétration en Roumanie n'est pas très important. 

Relance Benjamin  à 7min36

Au début de la guerre fin février 2022 l'Ukraine rentre dans ce que Timothée de Maillard nomme « le marathon de l'information », une volonté de contrôle de l'information de la part du gouvernement de Volodymyr Zelesnky afin de protéger le pays. Si le discours officiel via les médias principaux a alors été privilégié, l'effet inverse a été de perdre en pluralité de voix et d'opinions. Voila pourquoi, toujours selon Timothée de Maillard il était important de soutenir les médias et les projets éditoriaux indépendants. 

Son Timothée de Maillard  à 8min03

On a constaté qu'une partie importante de ce paysage médiatique qui  regroupe des journalistes indépendants qui interviennent à des niveaux locaux, régionaux mais aussi au niveau national, que ces gens étaient un peu laissés sur la touche, sur le carreau, parce que que les médias indépendants privés n'avaient plus les ressources pour pouvoir continuer à fonctionner. Le paysage médiatique en Ukraine rétrécissait et donc l'idée c'était vraiment de garder cette ouverture, de montrer en plus que l'Ukraine malgré la situation, malgré les lois d'exception qu'elle met en place comme la loi martiale, toutes les lois qui sont en réponse à l'invasion, laissent et maintient un espace de liberté et un espace de pratique pour les journalistes indépendants. Typiquement ce n'est pas un projet qui est sorti de la résidence même si on a des journalistes qui vont travailler sur ce genre de thématique mais on a vu le scandale de corruption dans l'armée avec les distributions de fournitures dans l'armée ukrainienne. Donc voilà en tous les cas : l'Ukraine n'interdit pas aux journalistes de continuer leur travail de d'investigation. 

Relance Benjamin  à 9min17

La surprise et le chaos suite à l'attaque russe ont rendu le premier recrutement de la résidence difficile notamment car il était compliqué de savoir où en était les journalistes dans leur vie personnelle. Depuis c'est plus facile, les réseaux se sont réactivés et la nouvelle de l'existence du projet circule. Les premiers participants sont arrivés à Bucarest en septembre. Au total la résidence a reçu 120 candidatures aux trois appels qu'elle a organisé. Le but désormais est d'en faire un par trimestre pour avoir régulièrement de nouveaux bénéficiaires.

Son Timothée de Maillard  à 9min48

La résidence c'est aussi clairement une réponse à l'urgence d'une situation. Donc la résidence a aussi cette fonction de permettre aux gens de pouvoir se mettre à l'abri, de se reposer des bombardements et des alertes aériennes pour les journalistes et leurs familles. Le projet éditorial, nous on laisse une totale liberté aux journalistes, il n'y a pas d'orientation donnée donc on ne juge pas le contenu mais par contre les journalistes viennent d'horizons divers et variés. Certains en effet sont des journaliste plutôt du secteur culturel, on a une journaliste qui travaillait je crois essentiellement sur la mode. D'autres journalistes qui intervenaient plus dans des médias régionaux... On peut voir un certain basculement depuis quelques semaines : on a en effet aujourd'hui essentiellement des profils de journalistes qui requestionnent leurs pratiques éditoriales en les mettant en parallèle avec la guerre et avec ce que la guerre a transformé. De fait faisant d'eux en effet des journalistes activistes pour faire connaître la réalité de ce que vit l'Ukraine aujourd'hui et vraiment montrer comment cette guerre de décolonisation qui est en fait leur 2ème période d'indépendance va transformer et est en train de transformer la société ukrainienne. On a aussi été l'appui à deux projets de livres : l'un concernant la réalité de l'occupation de de Kherson, un deuxième qui touchait des questions plus liées à l'émergence et d'une diplomatie culturelle, à la volonté de de l'Ukraine d'être dans une approche post-coloniale et donc de pouvoir mettre en avant la culture ukrainienne et d'analyser aussi en fait la méconnaissance à l'étranger parfois de la culture ukrainienne ce qui aujourd'hui tend à s'inverser depuis le début de l'invasion à grande échelle. Voilà, donc on intervient sur des sujets différents et certains en effet continuent aussi de publier pour des médias indépendants. Le projet s'associe en fait : la plate forme existe mais n'a plus les moyens dans certains cas et donc nous on vient un peu en complément. En soutenant leur travail qui continue d'être diffusé sur certaines de ces plate formes qui continuent d'être actives ou existantes en Ukraine. 

Relance Benjamin  à 12min10

La résidence CFI de Bucarest se pose désormais comme objectif de se pérenniser à l'avenir en devenant un hub à impact régional... 

Son Timothée de Maillard  à 12min18

Donc on envisage aussi et on commence à mettre en place des programmes d'échange avec les journalistes bénéficiaires et aussi avec des pays qui composent cette vaste zone qui va de la région de la mer Noire à laquelle on associe aussi l'Asie centrale, le Caucase et les Balkans occidentaux, qui sont des pays qui subissent de plein fouet la propagande russe et la désinformation qui va avec. Là on a d'ailleurs une de nos journalistes qui vient d'arriver qui travaillent sur la désinformation à proprement parler et qui va intervenir : on va partir à Tbilisi rencontrer pour une séance de travail avec des journalistes géorgiens. Là aussi après tous les mouvements qu'il y a eu autour de la loi sur les agents de l'étranger qui devait passer et qui finalement n'est pas passée. Donc on sent qu'en effet il y a des pressions. Bon voilà quelque part aujourd'hui il y a une vraie volonté d'intervenir sur des zones sur lesquelles on n'intervenez pas avant et où dans tous les cas les pouvoirs publics étaient peut-être un peu moins présents afin de pouvoir peut-être anticiper plus que cela n'a été justement le cas en Ukraine où on n'a peut être pas pris la mesure de ce qui était en train de se jouer en termes de désinformation. On va aussi conduire d'autres actions vers l'Asie centrale ou là encore il y a aussi des questions importantes pour arriver à saisir les mécanismes qui sont en place dans chacun des pays même si on peut trouver des thématiques communes qui peuvent être liées par exemple aux minorités ethniques et comment la désinformation s'appuie, ou encore sur les clivages ethniques ou les minorités ethniques dans certains pays. Donc voilà, le souhait du hub et de la résidence est de poursuivre des actions au niveau régional. 
 
Pied Benjamin  à 14min00

Cette volonté de lutter contre la désinformation russe a littéralement transformé l'Ukraine selon le responsable du hub CFI à Bucarest qui constate une véritable effervescence désormais en matière non seulement de médias indépendants mais aussi d'activisme avec beaucoup d'actions citoyennes pour justement s'opposer efficacement à la désinformation.  

Final 14min20

La résidence est clairement une réponse à l'urgence d'une situation
Timothée de Maillard
responsable du projet chez CFI

La réalité de l’occupation et de la terreur russes

L'occupation de Kherson restera comme l'un des drames marquant de l'agression de l'Ukraine par le voisin russe. L'acharnement des forces russes sur la cité du sud du pays et ses conséquences sur la vie de ses habitant.es, dont beaucoup ont choisi la voie de l'exil tandis que d'autres décidaient de rester malgré le danger et la précarité de leur situation, Ksenia Kalieberda en a fait l'objet de son travail de journaliste. Ballotée entre périodes d'exil et de -fragile- retour sur place, chacunes douloureuses à leur manière, la journaliste de 61 ans s'est muée en chroniqueuse à la première personne de Kherson, sa ville en proie à la répression et la violence d'une occupation de longs mois. 

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La réalité de l'occupation et de la terreur russes
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Episode : la réalité de l'occupation et de la terreur russe 

Intro de 32 secs
Journaliste culturelle avant la guerre, Ksenia Kalieberda s'est muée, contrainte par les événements, en chroniqueuse à la première personne de sa ville, Kherson, en proie à l'acharnement de l'ennemi russe. Depuis plus de un an, Ksenia, 61 ans, alterne entre départs et retours dans sa ville qui a connu la violence, les bombardements, les pénuries, la répression aussi durant les mois où les Russes ont occupé la ville. Son travail de journaliste Ksenia a justement choisi de le consacrer à cette occupation de Kherson qui a duré de longs mois. Elle va en faire un livre qu'elle a notamment pu peaufiner à la résidence CFI de Bucarest.  


SON KSENIA (52 secs)
En Ukrainien ça se dit comme ça  « Kherson ». En Russe ça se prononce « Kherson », vous voyez, c'est pas beau hein ? (Rires)... 
Mon livre s'intitule « Kherson : l'occupation du XXI e siècle ».  J'y décris la réalité de l'occupation : par quoi sont passés les gens, ce qu'on fait les russes dans les prisons là-bas et tout ce qu'ont ressenti les gens sur place. Cette occupation a été une véritable expérimentation selon moi. Elle a été non seulement très dure mais aussi hybride dans sa forme car plusieurs méthodes ont été utilisées par les Russes. Des méthodes vraiment perverses qui se sont infiltrées dans la peau et dans la têtes des habitants . Des méthodes qui ont usé les gens psychiquement.

Relance  Benjamin  à 1min24
Pouvez-vous nous décrire cette « expérimentation » comme vous l’appelez ?

SON Ksenia (2min10)
Je vais essayer...  Quand l'armée russe est entrée dans Kherson j'ai l'ai observé en douce et en réalité, au début, on ne voyait presque pas les soldats russes. On savait qu'il y avait des combats, notamment autour du pont de Antonivka vers Mikoalev, mais les soldats russes étaient plutôt discrets en ville. Pendant un mois entier il y a eu le drapeau ukrainien qui flottait sur la mairie. Les gens n'y comprenaient rien du tout. On se demandait : « est-ce qu'on est occupé par les Russes ou bien est-ce qu'on est toujours Ukrainiens ? ». On ne savait pas. Car le drapeau russe, lui, se trouvait bien au sommet du bâtiment de l'oblast de Kherson, le bâtiment qui représente la région. C'était la confusion totale pendant un mois. Durant cette période tous les magasins et toutes les pharmacies étaient fermés : on vivait littéralement en cercle fermé. Ils ont aussi coupé l'accès téléphonique et on ne pouvait plus communiquer. On n'avait plus accès à la télévision et à la radio ukrainiennes non plus. Puis, un beau jour, ils ont remis la télévision mais il n'y avait plus que des chaînes russes. Mais, et si je peux m'exprimer ainsi, à part ça au début pendant un mois et demi il ne s'est pas passé grand-chose. J'étais même assez calme. C'est en réalité après une série de manifestations contre l'occupant que ça a vraiment dégénéré : ils ont commencé à arrêter des gens, les activistes et les journalistes notamment. Ils se sont mis à faire n'importe quoi. Le 13 mars les Russes ont fêté l’occupation de Kherson en montrant  à la télévision des choses complètement différentes de la réalité. Ils fêtaient la libération de la ville des mains des « envahisseurs nazis » comme ils disent. Les locaux étaient complètement déroutés car ils y voyaient des scènes de liesse. Les Russes avaient organisé des concerts en ville avec des partisans à eux et aussi des gens qu'ils ont fait venir de Crimée pour participer. Tout ça passait à la télé... Et puis il y a tout ceux que l'on a forcé à assister à l'événement : ceux qui ne voulaient pas collaborer étaient tués. C'est arrivé au directeur de la philharmonie (Iouri Kerpatenko il s'appelait) qui a été tué chez lui par des soldats car il ne voulait faire de concert pour les Russes. 

Relance  à 3min38 
Cette confusion permanente a créé une sorte de paranoïa, c'est ça ? 

SON Ksenia (1min09)  : Oui, notre ville est devenue un « fake »... Les gens ne comprenaient rien de ce qui se passait. On nous montrait de fausses images qui en fait n'était pas de Kherson. Vous imaginez le trouble ? J'ai notamment une amie qui n'est pas sortie une seule fois de sa rue durant ces 10 derniers mois. Les gens sont devenus paranoïaques, complètement perdus. Avec la peur de marcher dans la rue de crainte d'être abattus. Tandis qu'à la télévision ils montraient une vie parfaite et heureuse! Ils ont aussi fermé les usines. Il n'y avait plus de travail, tout a été volé dans ces usines, les gens ne pouvaient ne plus travailler. Ils ne restaient plus que les infrastructures publiques (le courant et les canalisations) dans lesquelles les employés recevaient leurs salaires seulement s'ils acceptaient de collaborer avec les Russes. Il n'y avait que ça qui fonctionnait en ville. Petit à petit les chefs de ces institutions sont devenus des collaborateurs. Enfin, ils ont amené de grosses quantité d'alcool de Crimée et à chaque coin de rue on pouvait acheter à boire. A Kherson il n'y a plus aujourd'hui que seulement 80.000 personnes environ, contre 350.000 habitants avant la guerre. Les gens se sont mis à boire pour tenir le coup et ne plus voir la réalité en face. 

Relance à 4min50
Puis, après de longs mois, le 11 novembre, Kherson est libéré par l'armée ukrainienne. Ksenia rentre rejoindre son mari. Mais les combats reprennent de plus belle. Aujourd'hui encore, l'armée russe continue de pilonner la ville, de l'autre rive du Dniepr.  Ksenia ne sera rentrer que quelques jours seulement : elle ne résiste pas au milieu du chaos. L'occupation est finie, la terreur non. 

Son Ksenia (1min09) : Le 24 novembre j'ai décidé de rentrer à Kherson. Une nouvelle fois une rocket a volé au dessus de ma tête. Elle s'est abattue sur l'immeuble voisin du mien et a causé un terrible incendie qui a fait 7 morts et deux blessés. Sur place j'ai résisté pendant dix jours, il y avait des tirs d'obus tous les jours. Ça n'arrêtait pas. Dix fois, cinquante fois, soixante fois par jour.... Je n'arrivais à dormir. Mon mari voyait bien que c'était dur pour moi. Il m'a dit :  « si tu ne résistes pas aux coups de feu et aux alarmes, il vaut mieux que tu repartes ». Je pense que ceux qui vivent là-bas se sont habitués à ces sons. Mon mari est quasiment en permanence à la maison car c'est vraiment dangereux de sortir, tu risques ta peau. Dehors ils ont construit des petits bunkers en béton, des abris où les hommes peuvent s'asseoir un moment sur un banc. A l'intérieur il y a des prises de courant afin de pouvoir recharger ton téléphone en attendant que les bombardements cessent. Voila comment les gens vivent là-bas.   


Transition à 6min19 
Aujourd'hui encore Ksenia ne comprend toujours pas pourquoi son mari s'entête à vouloir rester à Kherson. La seule explication pour elle est que les gens comme lui ont développé une maladie mentale. A Kherson et partout où les Russes occupent le terrain ou tentent de s'imposer, la pression s'exerce aussi d'un point de vue idéologique. Et sans surprise ils s'en prennent aussi à l'école et à la langue ukrainienne. Olena Dyachuk peut nous en parler. Cette journaliste de 32 ans, originaire de l'est de Donetsk, exilée ensuite pendant 8 ans à Karkhov avant de s'enfuir en Pologne puis en Roumanie, travaille sur l'éducation ukrainienne en temps de guerre. D'après les chiffres officiels 3.000 écoles ont été détruites en Ukraine depuis le 24 février 2022.  6min57


Son Olena (27 secs.)
L'un de leur but premier est de détruire l'enseignement ukrainien. Or si l'objectif de nos leaders actuellement est bien évidemment de gagner la guerre, le reste passe après. L'enseignement passe à la trappe. Ce n'est pas la priorité or le pays va y perdre énormément. On n'aura plus de jeunes éduqués pour reconstruire le pays. C'est un gros problème et cela va nous prendre de nombreuses années pour récupérer cela.

Relance à 7min24 
Quel est l'état d'esprit des élèves et des enseignants ?

Son Olena (1min30)
Les écoles qui sont proches de la ligne de front travaillent en ligne. Pour celles qui sont plus loin des combats, comme à Lviv, certaines fonctionnent enligne d'autres en présentiel. Toutes les écoles ont été instruites pour pouvoir se défendre. Lorsqu'il n'y a pas de bombardements les élèves travaillent, ils vont dans les abris anti-bombes quand l'alerte est donné par contre. Certains professeurs travaillent 24h/24. Beaucoup d'entre eux sont très fatigués. On ne peut plus parler d'un programme de travail normal, c'est bien supérieur. Quand le danger se manifeste, les professeurs répondent littéralement de la vie des enfants, c'est lourd émotionnellement... Les enfants eux aussi se sont adaptés malgré les difficultés. Ils sont solides. Je peux vous dire que la plupart d'entre eux veulent continuer à aller à l'école. Avec notre publication nous organisons des concours en ligne. C'est arrivé que des enfants participent et nous écrivent à partir d'abris anti-bombes. Ils nous disaient que tout allait bien, que ce n'était pas dangereux, alors qu'ils étaient enfermés là-bas dedans et que nous les adultes connaissions très bien la situation dehors... Je peux vous dire qu'encore aujourd'hui j'en ai les larmes aux yeux. Excusez-moi cela fait remonter des choses. Je ne pensais pas que j'allais un jour raconter ça... 

Relance à 9min00 
Y-a-t-il quelque chose qui vous a particulièrement marqué durant cette occupation russe partout où vous êtes passée ?   10 secs.

Son Olena (2min03)
Quand j'ai quitté ma région d'origine de Donetsk pour venir dans la région de Karkhov -qui était alors occupée- j'ai vécu un an dans la ville de la Balakliia. Cette ville était aussi occupée bien entendu. Il y avait beaucoup d'élèves et de professeurs impactés par cette situation. Les Russes n'ont pas eu le temps de détruire les manuels ukrainiens, mais ils voulaient le faire. Et ils ont obligé les professeurs  à travailler sur leur programme scolaire à eux. Les enseignants ont été forcés d'accepter vous imaginez. Dans de telles circonstances je pense personnellement qu'ils n'avaient guère le choix. Tu pouvais être torturé voire pire. Cependant  la directrice adjointe de l'école dont je vous parle a décidé à la mi-août que les professeurs pouvaient continuer à enseigner leur programme en ukrainien en ligne. Elle en a même fait l'annonce sur internet, en disant qu'elle comptait sur les élèves. J'ai été très impressionné quand j'ai vu ça, vous imaginez le courage. Alors que l'école était sensée collaborer avec les occupants... Les programmes ukrainiens ont ainsi pu continuer de cette manière malgré la présence des Russes. C'était évidemment extrêmement secret, absolument personne n'avait le droit d'en parler, ni les élèves ni les professeurs, personne. Ça m'a vraiment bouleversé. C'est un seul exemple, mais beaucoup d'autres écoles ont fait ça. Dieu merci il n'y a pas eu de problèmes pour l'école en question, ils ont tenu bon jusqu'à ce que l'armée ukrainienne libère la zone en septembre. Mais dans d'autres endroits certains enseignants ont disparu et on ne sait rien d'eux depuis des mois...   

Conclusion à 11min13 
Malgré les difficultés et la perspective d'une guerre très longue Olena salue le système d'éducation de son pays. Beaucoup s'attendaient en effet à ce que celui-ci s'effondre complètement « or ça continue » dit-elle. 

La transformation de la société ukrainienne en temps de guerre

En marge des affrontements, se joue aussi un combat majeur pour l’avenir de l’Ukraine : celui de l’affirmation de son identité. Alors que les symboles russes sont déboulonnés aux quatre coins du pays, la population ukrainienne affirme plus que jamais aujourd'hui sa soif de liberté. C'est dans ce contexte que la culture témoigne d'une folle effervescence. L'histoire de ce moment charnière pour son pays, Konstiantyn Doroshenko a choisi de la raconter dans un livre. Lui, le curateur et critique d'art renommé, est le témoin privilégié d'une époque décomplexée pour la jeunesse de son pays.

Quand j'avais 16 ans dans les années 80 il n'y avait qu'un seul lieu informel dans tout Kiev pour les gens qui étaient « non conformistes ». Aujourd'hui ça n'a rien à voir
Konstiantyn Doroshenko

En marge des affrontements, se joue aussi un combat majeur pour l’avenir de l’Ukraine : celui de l’affirmation de son identité. Alors que les symboles russes sont déboulonnés aux quatre coins du pays, les Ukrainiens affirment plus que jamais aujourd'hui leur soif de liberté. C'est dans ce contexte que la culture témoigne d'une folle effervescence. L'histoire de ce moment charnière pour son pays, Konstiantyn Doroshenko a choisi de le raconter dans un livre. Lui, le curateur et critique d'art renommé, est le témoin privilégié d'une époque décomplexée pour la jeunesse de son pays. 

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Transformation de la société ukrainienne en temps de guerre
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 Introduction  55 secs

La culture ukrainienne témoigne actuellement d'une importante vitalité. D'une effervescence même dont l'enjeu est sans doute la redéfinition de l'identité ukrainienne. Même si on en parle moins sans doute, ces changements profonds ont bel et bien lieu en marge des combats, à l'image des symboles russes que le peuple ukrainien déboulonne sur ses terres. 
Konstiantyn Doroshenko est bien placé pour évoquer tout ça : il a fait partie de la commission du ministère de la Culture en charge des traces de russification et de totalitarisme en Ukraine. Critique d'art contemporain et curateur, notamment pour le renommé PinchukArtCentre à Kiev, Konstiantyn prépare aussi un livre sur l'effervescence créative urkrainienne pendant le guerre. Un livre qu'il a notamment pu peaufiner au calme dans le cadre de la résidence Yak Vdoma à Bucarest, un projet piloté par CFI visant à offrir à des journalistes ukrainiens un cadre propice à la poursuite de leur métier. 

SON
Beaucoup beaucoup de nouveautés sont apparues ces derniers temps. La guerre n'a pas influencé négativement l'art ukrainien, en générant de la frustration par exemple. Bien au contraire, elle lui a donné plus de vigueur. Bien sûr le premier mois et demi de guerre ça a été un choc total pour tout le monde. Des artistes sont partis au front, d'autres ont fait du bénévolat. Mais petit à petit les gens ont commencé à réaliser que l'art doit jouer un rôle fondamental dans tout ça, qu'il permet de donner un sens profond à tout ce qui se passe. Ceux qui luttent au front se battent pour que la vie continue dans ce pays or l'essence de la vie se trouve dans la culture ! 
Ainsi au tout début du conflit l'an passé on a eu une résidence d'artistes qui est apparu au nord du pays, là où c'était plus paisible. Le centre artistique du pays s'est déplacé à Lviv, tous les créateurs du pays sont allés là-bas. Il y a eu aussi des rassemblements d'artistes dans les Carpates à l'ouest du pays. Des peintres, notamment, ont aussi fait des choses très intéressantes à Tchernivtsi près de la frontière roumaine. Puis, l'été, quand la situation à Kiev s'est calmée, il y a eu un important festival baptisé « Na TCHASSé », « à l'instant même » organisé dans une ancienne usine de tricotage. D'une certaine façon c'est venu en réponse à ceux qui considéraient que l'art n'avait pas sa place en temps de guerre. 

1min36 relance Benjamin
Pouvez-vous décrire cette créativité durant ce festival ? 
Les rassemblements avaient lieu une fois par mois dans cette ancienne usine et ça durait deux jours entiers. C'était extrêmement divers culturellement. Il y avait toutes sortes d'arts créatifs, de la musique, de la mode, du graffiti. Tout ce que peut offrir de meilleur une ville et une industrie créative comme à Kiev. Tout cela était mené par Andrey Siguntsov, quelqu'un de très jeune. Il a invité des universitaires de haut rang, des professeurs qui enseignaient sur place à ces jeunes dont beaucoup avaient entre 18 et 20 ans. Il y a eu des discussions autour de la culture actuelle et sur la place de l'art dans la société. Cela a rassemblé énormément de jeunes. Et pendant tous ces événements et ces discussions il y avait de la musique avec tout plein de styles différents.


2.44 relance Benjamin
Comment caractérisez-vous cette effervescence ? Est-elle davantage tournée vers la culture traditionnelle ukrainienne ou est-ce plutôt un mix de choses modernes ?
Aujourd'hui cette culture est un mélange. Plus que jamais, avec la guerre c'est devenu un mix. Je peux citer un groupe, la Kalush Orchestra, qui l'an passé a remporté l'Eurovision, c'est un mélange de musique traditionnelle et de moderne. Même chose pour le groupe Darabraha, très connu dans le monde entier. Généralement les artistes mettent en avant des thèmes très modernes : la liberté d'expression, la non violence à l'égard des femmes, les droits pour les personnes LGBT. Ils sont pour les groupes minoritaires, contre la xénophobie. Tout ça ce sont des valeurs européennes, certes, mais pour ces jeunes, dont certains ont moins de 18 ans, ce sont avant tout des valeurs « créatives » et qui leur sont propres. Ils ne mettent pas tant l'étiquette « européenne » dessus d'après moi. Ca va au-delà. Pour eux il est normal d'être pour la diversité et pour les minorités. 

3min51 relance Benjamin   
Comment expliquer qu'ils ressentent les choses comme ça  ?
Personne ne leur impose ces valeurs. Je dirais qu'ils sentent que c'est l'avenir. C'est aussi le résultat d'internet et des réseaux sociaux. Avec ça tu peux voyager sans visas dans le monde entier. Ces jeunes deviennent des ambassadeurs de multiples sous-cultures qui ne sont pas en conflit les unes avec les autres : au contraire elles s'intersectent. Et cela me réjouit énormément. Quand j'avais 16 ans il n'y avait qu'un seul lieu informel dans tout Kiev pour les gens qui étaient « non conformistes ». Tous ces jeunes dont je faisais partie  dans les années 80 on se connaissait tous entre nous et on n'avait qu'un seul café dans toute la capitale pour nous retrouver. Aujourd'hui ça n'a rien à voir. Quand tu vois une usine énorme avec des centaines de personnes si différentes, sur plusieurs étages... C'est incroyable, ce changement pour mon pays, c'est un progrès réel. J'ai d'ailleurs croisé dans ce type de lieux plein de jeunes, des peintres, des musiciens ukrainiens qui ont quitté le pays mais qui continuent, d'où ils sont, à faire vivre la culture ukrainienne. Quant à tous ceux qui demeurent au pays eux aussi témoignent de ce qui se passe en Ukraine en s'adressant au monde entier. D'après moi ces créations artistiques dépassent le cadre stricto sensu de la guerre. Il ne s'agit pas tant des combats ou des soldats : cette expression artistique est  libre et au service de l'humanité et des émotions des gens. Nos artistes sont au contact du peuple, des soldats, des héros et des victimes. Et ils s'adressent à tous ces gens à la fois. Et en cela l'art ukrainien diffère fondamentalement de l'art russe. Dans celui-ci les choses sont en réalité devenus abstraites car complètement déconnectés de la vie du peuple...   
 

6min06 relance Benjamin
Justement parlez-nous s'il vous plaît de ce qui se passe actuellement sur la question de la réécriture de l'histoire en Ukraine et sur les changements des nom de rues et des noms de monuments liés à la Russie ?
Ces personnalités incarnées dans des monuments, des bustes ou autres, étaient au service des Russes qui par là voulaient marquer leur domination et leurs conquêtes territoriales. Comme une chatte qui pisse quelque part pour marquer son territoire, les Russes ont procédé de la sorte afin que les autres matous ne viennent pas flairer de trop près... Pendant l'URSS, de nombreux monuments étaient nommés suivant ce principe. Mais depuis 2014 l'Ukraine a commencé à changer la donne et à renommer tout ça. Après tout, non seulement Lénine n'a jamais mis les pieds en Ukraine mais, en plus, il est quant même l'une des personnes les plus sanguinaires du XX e siècle. C'est même le père du totalitarisme en réalité. Mussolini a appris de Lénine et ensuite c'est Hitler qui a appris de Mussolini... 

7min01 relance Benjamin
Cela ne concerne pas que la période soviétique ?
En effet. On parle bien de tous les monuments en lien avec la Russie. Tout a commencé initialement avec Lénine en 2014. « Leninopad » signifie d'ailleurs « renverser les bustes de Lénine ». Puis quand la Russie a lancé la guerre en 2022 ça s'est étendu à tous les représentants de la culture russe afin de les faire disparaître de l'espace public. Et ça continue encore à l'heure actuelle. L'année dernière a démontré que la culture russe est toujours impérialiste. L'Union soviétique est la continuité logique de l'empire tsariste or ces signes ne peuvent plus être acceptés chez nous. Les opinions ont changé, y compris la mienne, après le chaos de Bouchka, Irpin ou Makariv. J'ai moi-même compris que ces monuments de Pouchkine, de Gorki et de Tchaïkovsky pouvaient traumatiser les Ukrainiens et qu'alors leur place n'étaient plus dans l'espace public. Mais je pense par contre qu'il ne faut pas les détruire : il faut les mettre dans des musées, dans des parcs spéciaux pour pouvoir étudier l'histoire de la propagande russe. En effet, elle fait partie de notre histoire. D'après moi, il faut renommer les rues avec le nom de personnes qui sont nées sur place. Pas seulement des noms de scientifiques ou de personnalités célèbres mais aussi avec des noms de gens moins connus mais qui sont originaires du lien en question. Sans oublier bien sûr tous ces gens connus dans le monde entier nés en Ukraine et qui ont eu un apport dans l'histoire de l'humanité, comme par exemple Golda Meir. 

8.54

Conclusion   40 secs
Colosse au regard bienveillant, Konstiantyn Doroshenko tient à souligner le rôle de ces artistes ukrainiens impliqués dans l'aide à tous ces gens dans le besoin actuellement dans son pays. Ils constituent pour lui un motif de fierté et d'espoir. Autre rayon de soleil auquel il adresse un remerciement sincère : l'Union européenne, dont le soutien financier encourage la créativité des jeunes ukrainiens. Enfin, il espère que son livre qui devrait paraître cette année témoignera au mieux des changements en cours dans la vie culturelle de son pays. Car comparé à l'époque de la pensée unique et conservatrice du temps de sa jeunesse en URRS, dit-il, le chemin parcouru par son pays est considérable. 

Total : intro (55secs.) + sons (8.54) + conclusion (40 secs) = 10 min 30

La femme ukrainienne à l’heure d’un conflit qui rebat les cartes

Deux des journalistes de la résidence Yak Vdoma ont choisi de se pencher sur le sort des femmes ukrainiennes durant cette guerre qui a bouleversé leur vie. Taisia Bakharieva et Yulia Fomichova les appellent affectueusement leurs “héroïnes”, comme si ces femmes ne cessaient de les surprendre par leur force et leur courage. De les émouvoir aussi. La première consacre son travail à celles, éprouvées par la dureté de leur mission, qui couvrent sans relâche pour les médias le conflit au front. Un sort qu’a partagé un temps Yulia Fomichova mais qui, depuis la naissance de ses deux filles, donne une voix aux femmes ayant fui l’Ukraine au début de la guerre. 
 

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La femme ukrainienne à l'heure d'un conflit qui rebat les cartes
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La femme ukrainienne à l'heure d'un conflit qui rebat les cartes 

Intro 35 secs
Impliquée dans la résidence Yak Vdoma à Bucarest Taisia Bakharieva est journaliste de télévision depuis 30 ans. Toute sa vie professionnelle  elle l'a passée  à interviewer des célébrités  de la vie culturelle  de son pays.  Du moins jusqu'en 2014,  lorsque les priorités changent. Taisia   commence alors à s'intéresser aux femmes journalistes qui  couvrent la guerre au front pour la télévision ukrainienne.  Elle découvre leurs doutes, les difficultés auxquelles elles se confrontent, éprouve aussi de la compassion  et une certaine fascination pour celles qui suivent  les combats au péril de leur vie . Elle ne cesse de les suivre depuis.  

SON
Pour moi il est fondamental de comprendre ce que vivent ces femmes, la manière dont elles se transforment au cont act de la guerre. Elles nous permettent de saisir la réalité du terrain et il est passionnant d'observer la manière dont elles travaillent et comment elles survivent au cœur des combats. Elles me racontent ce qu'elles voient dans les endroits les plus chauds, à Bakhmut par exemple, quelle est l'humeur des combattants, et tout ce qui se passe sur place. Je suis aussi intéressée bien sûr par leur histoire personnelle et ce qu'elles ressentent au plus profond d'elle-même.                Je me suis focalisée sur 8 « héroïnes » ces deux derniers mois avec qui je suis en contact en permanence. Il s'agit de femmes qui ont entre 30 et 40 ans. Il faut bien comprendre qu'en réalité il n' y a pas énormément de reporters de télé qui sont présents au front. Parmi tous ceux-ci je dirais qu'entre douze et quinze seulement sont des femmes. C'est d'ailleurs justement parce qu'elles sont très peu que je trouve fascinant d'essayer de comprendre pourquoi ces femmes choisissent un tel destin. La question d'un tel choix, effrayant d'une certaine façon, m'intéresse beaucoup C'est à la fois tellement dangereux et tellement difficile... 

1min12 relance :  que vous racontent-elles de leur vie au front ? 
Absolument toutes mes héroïnes me racontent qu'elles n'aiment pas porter de casque, parce que ça leur fait mal à la gorge. Ils sont trop grands car la dimension est calculée pour les têtes des garçons. Pareillement, elles ont dû s'habituer à porter des gilets pares balles. Tu n'as pas le choix quand tu es au front. Pour se donner du baume au cœur, elles les ont joliment brodées. Ces gilets sont lourds, ils leur font mal au dos, mais cela ne les empêche pas de se déplacer encore et encore. Toutes me racontent que le fait d'être à la guerre près des soldats qui se battent leur donne le courage de continuer. Cela les rassure et les aide à endurer ce qu'elles endurent, à tenir le coup. C'est comme si le danger était moindre. Psychologiquement, il y a autre chose que je trouve très intéressant. Je constate que chacune d'entre elles me parlent de haine. Et pas seulement, comme on pourrait le croire,  à l'égard de la guerre. Elles éprouvent de la haine pour tous ces Ukrainiens qui font comme si la guerre n'existait pas. Ces gens qui ne s'impliquent pas et passent leur vie dans les cafés à l'arrière des combats, comme si tout cela ne les concernait pas et n'avait aucune importance. Elles éprouvent de la colère contre eux. Elles ne comprennent pas cette attitude. Elles ont cette haine en elles, elles en sont conscientes, elles savent que ce n'est pas normal mais elles me disent ne pas vouloir se « soigner » tant que la guerre continuera. Toutes me parlent aussi bien entendu de la fin de la guerre et de la victoire. Cela les obsède. Elles me racontent e ce qu'elles feront ce jour là. La majorité disent vouloir partir sur une île déserte où elles n'entendront plus parler de l'humanité, où il n'y aura que leur famille avec elles. Elle sont exténuées, vous imaginez bien, mais elles me disent vouloir aller jusqu'au bout. Elles ne rêvent que de victoire. 

3.38 relance : vous les appelez « mes héroïnes «  c'est ça ? 
Oui. C'est comme ça que je m'adresse à elles. Pour moi il n'y aucun doute dans le fait que chacune d'entre elles est une héroïne. Quand moi je suis ici en sécurité, elles, elles se battent au front. En 2014 beaucoup de journalistes chez nous se déplaçaient au front. Moi je n'ai pas eu ce courage là, voilà pourquoi ce sont des héroïnes pour moi. Elles sont toutes en vie, dieu merci, personne n'est blessée, malgré les balles qui pleuvent. En 2014 personne ne savait ce que voulait dire se déplacer au front. On ne pouvait pas concevoir ce qu'était le journalisme de guerre. Personne n'avait appris ce que c'était, on ne pouvait pas s'attendre à tout ça. Au départ, les femmes sont d'ailleurs parties sans casque et sans gilets pare balles. Elles ont appris seules, sur le tas, exactement comme nos garçons. A la base personne n'était préparé à tout ça.

4 min 51  relance  35 secs
Yulia Fomichova est elle aussi venue à Bucarest pour poursuivre son travail de journaliste. Yulia connaît bien le front : jusqu'à la naissance de ces deux filles, elle y a fait des reportages . Mais aujourd'hui  elle fait son métier différemment. Comme Taisia elle est la voix de femmes emportées dans le tourbillon de la guerre : pas seulement  de ces journalistes présentes près des combats mais, aussi de toutes les autres, toutes celles qui sont désormais éparpillées aux quatre coins de l'Europe. Tout comme Taisia , elle les appelle  « ses héroïnes ».  Elles nous les présente.
Son
Toute femme peut devenir l'héroïne de mes publications car la vie de chacune d'entre nous a changé de manière radicale, d'un coup, à cause de la guerre. Il y a par exemple cette femme qui travaillait comme infirmière dans un hôpital et qui, à partir du 24 février a décidé  d'aller travailler comme secouriste dans un bataillon de volontaires. Ou encore cette professeure qui a pu s'enfuir d'un territoire occupé par les Russes car ceux-ci l'obligeaient à enseigner leur programme scolaire à eux et en langue russe. Il y a aussi ces femmes de soldats  morts ou disparus qui sont obligées de reprendre leur vie à zéro. Toutes celles qui avant travaillaient pour l'état, dans un bureau ou autre, et qui ont choisi de quitter leur lieu de travail bien confortable pour aller faire du bénévolat. Et puis toutes celles, nombreuses, qui ont dû fuir des zones occupés et qui se sont retrouvées du jour au lendemain dans un pays étranger et doivent recommencer une nouvelle vie. 
5.56 relance : à quels types de problèmes se confrontent-elles concrètement ? 
Je dirais qu'il y a deux types de problèmes pour schématiser. Il y a tout d'abord les problèmes qui touchent à leur situation familiale. Une partie d'entre elles sont parties à l'étranger, sans leurs maris, quant à celles qui sont restées au pays elles se trouvent elles-aussi loin de leurs maris. Quoiqu'il en soit c'est toute la famille qui est éclatée. Sans compter que, de fait, tous les problèmes de la vie quotidienne sont retombés sur les épaules des femmes car elles se retrouvent toutes seules à devoir tout gérer. Elles font bien entendu face à des difficultés financières, elles doivent aussi s'occuper bien sûr de l'école des enfants, sans oublier qu'il leur est difficile de pouvoir travailler car elles ne peuvent pas engager de baby sitter. Et puis, il y a aussi un autre type de problèmes qui là concernent tout autre chose. Au déclenchement de la guerre de nombreuses femmes sont parties se battre ou bien ont décidé de devenir bénévoles pour aider. Or, dans l'armée notamment, elles sont très souvent victimes de discrimination. On constate déjà qu'elles ne vont pas obtenir les même postes que les hommes. Il y a aussi le fait qu'elles vont être moins bien payées. Sans oublier qu'elles sont également très souvent victimes de bullying. Pour résumer, on observe qu'elles sont tout simplement discriminées en temps que femmes et je dirais que tout cela a éclaté au grand jour avec la guerre. 

7.30  relance : savez-vous qui lit vos articles et quelles  sont les réactions  des  gens? 
C'est surprenant mais les statistiques disent qu'en réalité ce sont surtout les hommes qui lisent mes articles... J'espère qu'ainsi cela contribue à leur faire comprendre ce que font les femmes pendant le conflit, qu'ils réalisent mieux leurs difficultés et ce à quoi elles sont confrontées actuellement. Je l'espère vraiment. Je pense qu'une partie des hommes admettent leurs erreurs et se remettent en question. C'est le signe que la société civile atteint une certaine maturité. Ces hommes sont intéressés par les questions autour de l'égalité des droits entre hommes et femmes. Ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas et c'est bien. Notamment certains hommes qui se battent aux côtés de femmes occupant des postes à responsabilité dans l'armée et qui seront davantage prêts à partager les responsabilités domestiques avec les femmes. Mais attention tout le monde n'est pas comme ça. Il y a de plus en plus de tensions autour de ces questions. Ces changements sont également très critiqués, beaucoup de femmes font l'objet de commentaires déplacés, d'insultes et de haine. Plus d'égalité frustre certains hommes. L'influence du patriarcat est encore très forte. En somme il y a, je dirais, deux catégories différentes hommes : ceux qui sont prêts à accepter les femmes comme des égales et les hommes pour qui la place de la femme sera toujours dans sa cuisine.

8.50  relance : diriez-vous que c'est du 50/50 entre ces deux catégories masculines ?
A peu près oui.

8.54 relance : c'est plutôt un progrès  ou bien c'était déjà le cas avant la guerre ? 
Je dirais que ces changements avaient déjà commencé avant le conflit mais là avec la guerre tout s'est accéléré. C'est comme si la guerre faisait comprendre aux hommes que les femmes ne sont pas la partie faible de l'humanité. Pour moi personne n'a sa place à la guerre, ni les hommes ni les femmes, mais, dans le cas de situation extraordinaire comme celle-là, pour moi il n'y a pas de différence à avoir entre hommes et femmes.
Fin Son - sans voix Benjamin 9.22


Conclusion  18 secs
Si Yulia a le sentiment que son pays va dans la bonne direction, elle sent bien que le contexte si spécial de la guerre rend  particulièrement  difficile,  pour tous les Ukrainiens à l'heure actuelle,  de prendre la mesure des changements  sur ces questions  autour de l'égalité entre les deux sexes. Mais elle a conscience aussi que tout cela devrait marquer durablement les esprits.  

TOTAL DUREE : 9.22 + 35 secs + 35 secs + 18 secs = 10 min 50 

Le soutien aux communautés de personnes réfugiées ukrainiennes en Roumanie

Bien que partageant une longue frontière de plus de 500 km, l’Ukraine et la Roumanie n’ont guère entretenu de relations ces dernières décennies. Depuis février 2022, et notamment l’afflux de personnes réfugiées ukrainiennes aux portes de la Roumanie, les cartes sont désormais rebattues, ouvrant la voie à la coopération, au dialogue et à la solidarité. Professionnelle ukrainienne de l’image, Yana Skoryna se penche, depuis la Roumanie, sur cette nouvelle donne entre les peuples ukrainiens et roumains qui, dans l’urgence d’une situation inattendue et violente, apprennent à aller de l’avant main dans la main face aux enjeux actuels.

Le peuple ukrainien a vraiment ressenti dans sa chair toute cette aide de la part du peuple roumain. Les Roumains ont démontré qu'ils étaient un peuple bienveillant, prêt à vous soutenir en cas de coup dur. Il faudra garder cela en mémoire
Yana Skoryna

Bien que partageant une longue frontière de plus de 500 km l’Ukraine et la Roumanie n’ont guère entretenu de relations ces dernières décennies. Depuis février 2022 et notamment l’afflux de réfugiés ukrainiens aux portes de la Roumanie les cartes sont désormais rebattues ouvrant la voie à la coopération, au dialogue et à la solidarité. Professionnelle ukrainienne de l’image, Yana Skoryna se penche à partir de la Roumanie sur cette nouvelle donne entre Ukrainiens et Roumains qui, dans l’urgence d’une situation inattendue et violente, apprennent à aller de l’avant main dans la main face aux enjeux actuels. 

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Soutien aux communautés de réfugiés ukrainiens en Roumanie
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Soutien aux communautés de réfugiés ukrainiens en Roumanie 
Intro
A 30 ans Yana Skoryna a déjà une sacrée expérience journalistique. Avant la guerre elle faisait de la télévision à Kiev avant de s'exiler au début du conflit en Lituanie, en Allemagne, en Croatie et au Monténégro. Elle et son mari ne savaient tout simplement pas où aller explique-t-elle. A Bucarest, elle remet le pied dans le monde du journalisme au sein de la résidence CFI Yak Vdoma. D'abord pour le compte d'un média indépendant où elle planche entre autres sur la corruption et les crimes de guerre russes. Avant que Yak Vdoma ne décide de la lancer sur le terrain pour raconter la prise en charge des réfugiés ukrainiens ici en Roumanie. 


À 40 secs.  Son Yana
Le peuple ukrainien a vraiment ressenti dans sa chair tout cette aide de la part du peuple roumain. Les gens ont bien entendu réalisé à quel point ils avaient été bien traité ici. Ce soutien important a été un message clair. Je pense que les Roumains ont démontré qu'ils étaient un peuple bienveillant, prêt à vous soutenir en cas de coup dur. Il faudra garder cela en mémoire. 

à 1min03 Relance 
Pouvez-vous développer ?

à 1min05 secs  Son Yana 
C'est vraiment un soutien de chaque instant. A compter du moment où tu arrives sur le sol roumain, à la frontière, quand tu descends du train, d'un bus ou d'une voiture. Les Roumains accompagnent nos premier pas, nos demandes de visas. Je connais beaucoup de Roumains qui accordent une aide inconditionnée dès les tout premiers instants : une aide médicale, de la nourriture, la prise en charge des enfants, un toit, de l'argent, tout en vérité ! Parfois aussi en se montrant disponibles jour et nuit. J'ai beaucoup vu ça à la gare ici à Bucarest. Énormément de choses ont été organisées et très bien. Le peuple roumain est très chaleureux, d'autant plus que les Ukrainiens qui arrivent ici sont en état de choc. Ils n'ont ni le temps ni les ressources pour se prendre en main, penser à comment gagner leur vie ou trouver un logement, en réalité ils n'en sont pas capables. Surtout dans un pays étranger. C'est encore plus dur de savoir comment procéder pour obtenir des choses élémentaires comme se loger ou bien se nourrir. En fait c'est juste difficile de penser au présent et à l'avenir. Encore plus quand tu viens de territoires occupés... C'est d'autant plus appréciable de trouver une épaule sur laquelle s'appuyer et avoir le temps de réfléchir à la manière de t'installer dans l'endroit où tu as atterri. Cette aide est juste essentielle.   

à 2min19 Relance 
Comment interprétez-vous l'ampleur de cette aide de la part du peuple roumain ?

À 2min26 Son  Yana
D'après moi le monde entier a pu voir que les Ukrainiens avaient besoin d'aide. L'Ukraine l'a bien fait savoir. Je dirais que là c'était plus évident par rapport à d'autres peuples fuyant leur pays, tout le monde était au courant. En outre, et même si je ne connais vraiment pas bien l'histoire roumaine, ce que je sais c'est qu'ils ont eu eux aussi de gros problèmes avec les Russes dans leur histoire. Ils savent ce que c'est, ils savent de quoi ils sont capables... D'autant qu'il est évident que la Roumanie partage une frontière énorme avec l'Ukraine ; c'est d'ailleurs pour ça que c'est un pays de transit actuellement. D'après moi les Roumains savent que s'ils n'aident pas l'Ukraine ils seront les prochains sur la liste et donc ils s'activent ! C'est pareil pour tous les autres pays autour de l'Ukraine. L'Ukraine est comme une sorte de bouclier pour tous les états voisins. 

À 3min17 Relance
Cela vous l'avez ressenti en discutant avec les gens ici, c'est ça ?

À 3min22 Son Yana
Puisque vous parlez de mes interactions avec les gens d'ici j'ai une petite histoire. J'allais vers une station de tramway ici à Bucarest habillée avec une veste sur laquelle j'avais accroché le drapeau ukrainien. Un homme est venu vers moi pour me parler de la guerre et on a parlé, comme ça en attendant le tramway. Il savait beaucoup de choses sur le conflit, il avait son avis sur la question disons, mais dans le même temps il était aussi très curieux de savoir comment mon pays en était arrivé là. Il était perplexe car en réalité il ne comprenait pas pourquoi le président Zelinsky résistait autant à Poutine et ne cédait pas son territoire aux Russes. Je lui ai répondu : on ne doit pas les lui céder, on a signé un traité avec les Russes en 1990 dans lequel il apparaît clairement que l'Ukraine est un pays indépendant, avec le Dombass, la Crimée etc. Et de fil en aiguille il s'est mis à me parler de la république de Moldavie. Avant, ce territoire s'appelait la Bessarabie et appartenait à la Roumanie. Puis les Russes s'en sont mêlés. Et aujourd'hui c'est la république de Moldavie, le pays de ma collègue Angela qui est ici elle aussi. C'est en pensant à ce qu'avait perdu la Roumanie qu'il a alors compris pourquoi l'Ukraine ne voulait pas lâcher un pouce de son territoire aux Russes. Et je pense qu'il a aussi compris que si l'Ukraine cédait, les pays voisins seraient alors les prochains à être impactés. Ce n'est donc pas étonnant cette aide impressionnante pour les Ukrainiens dans tous les pays où je suis passé depuis le début du conflit. C'était prévisible qu'ils fassent tous la même chose car ils ne veulent pas que la guerre se propage. Et à mon avis c'est la bonne attitude à adopter. En tant qu'Ukrainienne j'ai le sentiment que mon pays fait tous ces sacrifices y compris pour la sécurité des autres.


À 5min 16 Relance : 
Yana a travaillé pendant 10 ans pour la télévision ukrainienne, pour des émissions de divertissement. Son expérience de l'image elle va s'en servir en Roumanie pour témoigner de ce qui se passe à la marge du conflit. A la résidence Yak Vdoma elle bénéficie en effet d'équipements vidéo lui permettant de travailler. Au programme : interviews d'experts, d'officiels et bien entendu de réfugiés ukrainiens et de tous ces Roumains qui leur prêtent main forte dans leur quotidien.  

À 5min45 Son Yana
Ce que je vais faire dans le cadre du projet Yak Vdoma va me permettre de reprendre le fil de mon métier de journaliste télé. Pour moi interviewer des gens en les filmant c'est vraiment autre chose. Cela permet d'être au plus près des personnes et de capter ainsi leurs émotions. Or c'est le plus important, pour moi c'est ça la magie de l'image. En réalité dans ce projet l'idée pour moi est de parler des Ukrainiens et des Roumains et de ce que vivent les deux peuples. Qui sont ces gens qui aident, pourquoi font-ils cela, comment ils y parviennent ? Même chose : je veux raconter la nouvelle vie de ces réfugiés ukrainiens, de ceux qui se sont intégrés et vont peut-être rester, donner à voir leur quotidien. Et puis je veux aussi parler du soutien mutuel qui existe entre les deux peuples. De ce que font les Roumains pour les Ukrainiens mais aussi inversement. Car les Ukrainiens peuvent aussi se rendre utile et aider les Roumains, ça aussi c'est important de le dire et de le faire connaître. Je souhaite raconter ces collaborations, la manière dont les deux peuples agissent et s'entraident. 


À 6min49 Relance 
Parlez-moi de ces collaborations comme vous dites  ?

à 6min52 Son Yana
Je veux démontrer à quel point est nécessaire aujourd'hui cette collaboration pour les deux pays. Car ce qui est intéressant également de mon point de vue c'est que les Ukrainiens ressentent eux aussi le besoin de faire quelque chose en retour pour les Roumains, d'être utile si vous voulez.  
Puis en anglais  : j'ai par exemple l'intention d'interviewer ces personnes qui sont en train de créer un nouveau programme afin que les Ukrainiens puissent  aller donner leur sang dans les hôpitaux roumains. Le but c'est que ce sang ukrainien si je peux m'exprimer ainsi soit envoyé pour partie en Ukraine à destination des soldats qui se battent mais aussi pour les Roumains qui ont besoin de sang ici dans leur pays.


À 7min33 Relance 
Les Ukrainiens ont donc ressenti le besoin d'aider les Roumains en retour ?

À 7min38 Son Yana
Je ne pense pas que ça leur ait été imposé d'une manière ou d'une autre, ils ont tout simplement ressenti les choses comme ça. Ils ont juste été reconnaissants vis à vis du pays qui les a accueillis et de toute cette aide. Ce n'est pas que cela nous a surpris, non, ce n'est pas ça. Au départ ça a été davantage un choc en réalité, plutôt qu'une surprise. Quand tu arrives d'Ukraine, tu es sous l'influence de ce qui se passe là-bas. Et quand tu vois que les gens t'aident sans te demander quelque chose en retour, en fait oui c'est ça, c'est un choc. Surtout quand tu compares avec la situation dans ton pays où il y a un agresseur qui veut détruire ton pays. Au delà de ça, cela fait du bien aussi je pense de se retrouver dans la situation de celui qui peut être utile car quand tu arrives quelque part le réflexe est de croire que personne n'aura jamais besoin de toi.

À 8min18 Conclusion
Les chiffres sont impressionnants : depuis février 2022 ce sont 110 000 réfugiés ukrainiens qui ont postulé au statut de protection temporaire offert par la Roumanie. Au total le pays a vu passer près de 3 millions de réfugiés à ses frontières. Les efforts consentis par la Roumanie, avec l'aide de l'Union Européenne, sont ainsi colossaux. Des efforts qui, plus d'un an après le déclenchement du conflit, ne semblent pas donner des signes d’essoufflement.  

Final 8min44

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