
Un hackathon pilote réunit des journalistes et des acteurs de la société civile pour combler le fossé numérique en Asie centrale grâce à l’IA
Projet associé
AGILEDans le cadre du projet AGILE financé par l’UE et mis en œuvre par CFI, l’événement organisé à Astana a réuni des experts de diverses disciplines afin de créer des solutions innovantes pour les millions de personnes qui n’ont pas accès à des informations vérifiées.
ASTANA, Kazakhstan — Pour Dilnoza Karimova*, une journaliste de 43 ans vivant à la frontière accidentée entre le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, les frontières ne sont pas seulement des lignes sur une carte, elles constituent des obstacles quotidiens à la compréhension.
"La communication entre les langues est vitale ici", explique Mme Karimova, qui s’est lancée dans les médias il y a cinq ans pour honorer l’héritage de sa défunte sœur. "Nous voulons renforcer la coopération avec les pays voisins, mais il est essentiel que notre public comprenne réellement notre contenu."
La lutte de Mme Karimova est le symptôme d’une crise beaucoup plus large. Dans toute l’Asie centrale, des millions de personnes restent déconnectées des informations vérifiées en raison de la pauvreté systémique, des barrières linguistiques et des fossés numériques persistants. En conséquence, de vastes segments de la population sont contraints de s’en remettre à des réseaux sociaux non modérés, où la désinformation et la propagande se propagent souvent sans contrôle, comblant le vide laissé par l’absence d’un journalisme accessible et indépendant.
Pour remédier à cette déconnexion systémique, Karimova s’est jointe à un groupe unique de professionnels réunis à Astana du 26 au 28 novembre 2025 pour un hackathon pilote AI/Tech4Good Hackathon.
Organisé par CFI (Agence française de développement des médias), cet événement visait à promouvoir les innovations dans ce domaine. Brisant les barrières entre les domaines techniques et sociaux, le hackathon a réuni des journalistes et des leaders de la société civile avec des étudiants universitaires et des spécialistes en technologie du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan. Ensemble, ils représentaient un échantillon représentatif de la société en pleine évolution de la région, avec plus de 95 % de femmes, travaillant ensemble pour co-créer des solutions numériques favorisant l’inclusion.

Cette initiative est la pierre angulaire d’AGILE(Advancing Global Innovation and Learning Effectively), un projet financé par l’Union européenne (UE) qui opère à l’échelle mondiale. CFI a dirigé cette activité, qui a été soutenue par Istorias Media et le North Kazakhstan Legal Media Center.
L’urgence de cette mission est soulignée par la réalité de la région. Reporters sans frontières (RSF) a mis en évidence l’état de plus en plus précaire de la liberté de la presse en Asie centrale. Dans le classement mondial de la liberté de la presse 2024, la majorité des pays de la région sont classés comme ayant une situation "difficile" ou "très grave". Dans un contexte où CFI identifie un besoin critique de renforcer la résilience face au rétrécissement de l’espace civique, la capacité à contourner les barrières traditionnelles (qu’elles soient linguistiques, économiques ou politiques) n’est pas seulement une commodité technique, mais une nécessité démocratique.
Des solutions "pratiques"
Pendant trois jours, ces équipes multidisciplinaires se sont engagées dans un format "Hack and Train" rigoureux conçu pour aller au-delà de l’écoute passive des conférences traditionnelles. Les quatre équipes ont développé des prototypes abordant des questions régionales viscérales : l’inclusion linguistique, l’accès des personnes handicapées et la vérification des informations.
"Dans une conférence, la participation est passive", explique Stefano Marchesi, d’Istorias Media, qui a joué le rôle de mentor en matière d’intelligence artificielle (IA) lors de l’événement. "Ce contexte donne aux personnes la possibilité de participer et de travailler concrètement à la recherche d’une solution."
M. Marchesi a souligné que le succès des équipes reposait en grande partie sur les perspectives nouvelles apportées par les jeunes participants. "J’ai été surpris par les étudiants", a-t-il noté. "Ils se sont révélés être une force remarquable pour chaque projet."
Si l’IA est un mot à la mode dans le monde entier, les mentors ont constaté que son application pratique reste souvent difficile à cerner dans la région. "En général, tout le monde avait déjà utilisé un outil pour générer une image ou obtenir une réponse rapide, mais personne ne savait vraiment comment exploiter tout le potentiel de cet instrument", a observé M. Marchesi. "Je pense que pour la majorité, cette porte est désormais ouverte."

Pour les organisateurs, le hackathon a également été l’occasion d’étudier les spécificités culturelles en matière de technologie. Alors que les cercles technologiques occidentaux tournent souvent autour des applications web, le cœur numérique de l’Asie centrale est Telegram.
"Il y a eu des convergences auxquelles je ne m’attendais pas", a déclaré M. Marchesi. "Tout le monde voulait un bot sur Telegram. Ce fut une surprise culturelle : ils l’utilisent pour tout."
Cette préférence locale a façonné les solutions. Le projet gagnant, dirigé par Mme Karimova, a tiré parti de cette plateforme pour créer des outils de traduction basés sur l’IA. Cet outil vise à combler le fossé linguistique entre les nations voisines.
Pour Dilnoza Karimova, cette victoire est aussi bien personnelle que professionnelle. "Je m’attendais à acquérir de nouvelles compétences... mais j’ai pu affiner mon idée, rencontrer de nouvelles personnes et apprendre beaucoup sur l’intelligence artificielle", a-t-elle déclaré. Elle a déjà soumis une proposition pour continuer à développer cet outil.
Alors que l’Asie centrale poursuit sa transformation numérique, le projet AGILE démontre que l’avenir technologique de la région ne sera pas uniquement défini par des logiciels importés, mais aussi par des coalitions locales d’étudiants, d’activistes et de journalistes qui établissent les ponts nécessaires pour communiquer entre eux. Trouver des solutions innovantes et adaptées au contexte local est au cœur de la philosophie de CFI.

*Le nom a été modifié afin de protéger la vie privée de la personne concernée.


