Oksana Gryshyna au téléphone

Oksana Gryshyna, l’optimisme chevillé au corps pour reconstruire l’Ukraine

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Oksana Gryshyna scrute ce que font les citoyens et les autorités pour redresser et reconstruire l'Ukraine. Elle puise un optimisme inébranlable dans les capacités de résilience de son pays.

 

Le 24 février 2022, Oksana a résumé la situation d'une manière pragmatique à son fils de 13 ans : « les Russes sont six fois plus nombreux que nous, on a juste à être six fois meilleurs qu'eux et on parviendra à défendre notre pays ». Un an plus tard, celui-ci l'accompagne pour la deuxième fois à Bucarest, où il suit ses cours en ligne, patiemment, non loin de sa mère venue travailler pendant trois mois dans la résidence Yak Vdoma. « La première fois ici, c'était lors de l'évacuation durant le premier mois de guerre, on a alors pris le premier train sans regarder la direction, l'idée était simplement de fuir. Aujourd'hui, je suis là pour bosser », résume la journaliste originaire de Kiev. 

Pour Oksana, 52 ans, être six fois meilleurs que les Russes c'est avant tout être résilients, et ça, les Ukrainiens savent faire. « C'est même ce qui nous différencie des Russes, car eux, quand ils arrivent quelque part, ils ne font rien d'autre que détruire pour imposer leur manière de voir, ils ne savent rien faire d'autre », assène la journaliste. Tenue sportive aux motifs floraux colorés, chevelure épaisse grisonnante, on sent Oksana bouillonner. Alors elle se raccroche à l'histoire et à ce que les Ukrainiens ont toujours démontré en termes de résilience. 


La résilience, une vertu ukrainienne

Elle parle de l'époque où l'Empire ottoman faisait des incursions régulières dans l'Ukraine actuelle. « Si nous n'avions pas été capables de nous renouveler, jamais nous n'aurions survécu. Les Ottomans ne s'y trompaient pas : tous les dix ans il y avait quelque chose à prendre chez nous, les Ukrainiens reconstruisaient tellement bien qu'au bout de quelques années ils produisaient et exportaient vers l'Europe ». Pour elle, pas de doute, c'est la même chose aujourd'hui : « les gens vont de l'avant, ça a toujours été cela être ukrainien », lâche-t-elle avec fierté. 
  
Mais pour elle, cette guerre, c'est la dernière. « Les agressions vont cesser une fois ce conflit fini », confie-t-elle avec aplomb, convaincue que « plus jamais les Russes ne tenteront de revenir après ça. La porte leur sera définitivement fermée », prophétise-t-elle. 

Aujourd'hui, c'est plus que jamais cet avenir radieux qu'Oksana convoque dans son travail. Elle nous montre le site d'Interfax Ukraine, l'agence de presse pour laquelle elle réalise des interviews en libre accès. Avant, elle écrivait sur les rénovations de vieux bâtiments, et ce qui rend une ville agréable à vivre. Ses derniers articles avant février 2022 concernaient les hôtels de Kiev censés ravir les touristes. Autre époque. Aujourd'hui, elle raconte les localités assiégées et bombardées, les Mykolaïv et Kharkiv, où les autorités et les citoyen•nes s'interrogent sur l'après et le réaménagement urbain. Elle en retire la fierté que le dialogue entre élu•es et habitant•es sur ces questions soit « car songer à la reconstruction aide les Ukrainiens psychologiquement à se projeter et à se conforter dans l'idée qu'ils vont gagner ». 


La reconstruction, une opportunité pour moderniser des infrastructures vétustes

Elle y voit aussi une formidable opportunité. Oksana nous montre son interview avec le CEO d'une compagnie autrichienne (ES Consulting) qui a un plan de reconstruction pour Trostianets, ville toute proche de la frontière russe. Le titre est limpide  : « Trostianets a une opportunité exceptionnelle de devenir un lieu vert et agréable pour les familles ». Pour elle, la reconstruction du pays offre la possibilité de prendre le virage d'une économie circulaire et plus verte. 

L'application enregistrant les demandes des Ukrainiens pour reconstruire leur habitation fait état de 320 000 de demandes. Des chiffres sous-estimés pour Oksana : « beaucoup de gens n'ont plus de titres de propriété à cause des destructions. D'autres ne savent même pas si leur habitation a été détruite ou pas ». L'Ukraine actualise chaque jour les données sur le nombre d'immeubles détruits dans le pays - 22 millions de mètres carrés d'habitations, d'après la journaliste. Alors ce tournant actuel (illustré par la manne d'argent européen, entre autres), son pays ne doit pas le manquer, d'autant plus que les décennies précédentes n'ont pas été marquées par les investissements. 

D'après les estimations, 70 à 80% de nos infrastructures étaient déjà vétustes avant la guerre. Or, là, dans certaines régions, tout est détruit à hauteur de 100 %.

La situation était déjà en soi mauvaise avant la guerre, rappelle Oksana - pour le gaz, l'eau et l'électricité par exemple, tout date des années 70. « D'après les estimations, 70 à 80% de nos infrastructures étaient déjà vétustes avant la guerre. Or, là, dans certaines régions, tout est détruit à hauteur de 100 % », explique-t-elle. La route est donc longue, Oksana le sait bien. Elle en veut pour preuve la situation roumaine qu'elle observe avec attention depuis son arrivée à Bucarest : seize ans après son entrée dans l'UE, le pays se confronte toujours à des problèmes similaires (difficulté à se chauffer même dans les grandes villes, réseaux vétustes, infrastructure routière famélique, etc.).

Mais elle se félicite que le discours actuel en Ukraine aille dans le sens de davantage d'autonomie locale, avec « des projets d'infrastructures indépendants et moins interconnectés, car on a bien vu que trop de centralisation était un handicap ». Il semblerait que les experts ukrainiens aient pris conscience que chaque localité devait être capable, en cas de crise, d'être autonome. De plus, chaque région a son propre plan de rénovation et de développement. 

Et puis il y a les citoyens et citoyennes, généralement « les premiers à s'activer suite aux destructions » assure-t-elle. Elle cite cette amie, journaliste elle aussi, qui se déplace chaque week-end pour enlever les débris dans les localités détruites. Oksana évoque aussi cette société suédoise qui a offert du matériel de construction pour 85 immeubles à reconstruire. « La société ukrainienne est d'une vitalité incroyable, et c'est tant mieux car les besoins sont énormes. Il y a plus de 3 millions de personnes qui ont perdu leur habitation dans le pays », conclut la journaliste.

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