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Olena Dyachuk, l’éducation face à la guerre

Projet associé

Journaliste spécialisée sur les questions d'éducation, Olena Dyachuk observe  les difficultés d'un système aux abois à cause de la guerre.

 

Pour une spécialisation qu'elle jugeait potentiellement « ennuyeuse » en 2017, Olena Dyachuk reconnaît avec le recul s'être « royalement trompée ». Car pour la journaliste, il est désormais évident « que l'une des graves conséquences de cette guerre est que le pays ne dispose plus de jeunes éduqués normalement. Cela va nous prendre de nombreuses années pour récupérer le retard accumulé », estime la jeune femme de 32 ans avec dépit. À fleur de peau, l'ancienne rédactrice, qui travaille depuis cinq ans sur les questions d'éducation, est le témoin privilégié des efforts d'un système éducatif ukrainien qui doit se débattre pour continuer à exister.

Les cheveux bordeaux aux reflets tantôt clairs tantôt foncés, Olena, bien sûr, apprécie ce retour à la normale dans la capitale roumaine. Née à Snizhne, non loin de Donetsk, elle voit sa région occupée dès 2014 et doit s'exiler à Karkhov - c'est là qu'elle voit passer l'annonce pour un poste de journaliste dans une publication locale spécialisée dans l'enseignement. Elle passe huit années dans la région avant de voir là aussi arriver les Russes. Contrainte de fuir à nouveau, elle part pour la Pologne où des parents à elle vivent déjà, et où elle s'installe pendant six mois. Depuis octobre dernier, elle et sa mère (ainsi que leur chat) ont posé leurs valises à Bucarest. Le trio pourrait rester plus que les six mois prévus au départ : « c'est devenu si dur d'avoir des plans d'avenir », reconnaît d'une petite voix la jeune femme, usée par ces changements d'adresses. 


Un sujet révélé par le conflit

Dans le cadre de la résidence Yak Vdoma, Olena réalise principalement des articles et des interviews avec des professeurs et des responsables du système éducatif ukrainien. Il y a cinq ans, la publication pour laquelle elle travaille était déjà l'une des rares à aborder ces questions ; depuis la guerre, c'est encore plus compliqué : sans surprise, les licenciements parmi les journalistes du secteur ont été nombreux. Pour ce qui est de la réalité du terrain, dans les écoles, on comprend vite le dépit d'Olena qui se dit, dans un long soupir lourd de sens, « profondément désolée que l'école ukrainienne en soit arrivée à cette situation ». 
   
Absence de courant, de lumière ou de chauffage, alarmes incessantes, attaques permanentes... plus les écoles sont près du front, plus les contraintes et les risques sont grands. « C'est très compliqué, je plains les professeurs, les élèves et les parents mais il faut voir que même dans les bunkers les choses s'organisent pour que les élèves apprennent », explique Olena, pour qui il est évident que certains profs travaillent en réalité 24h/24h. « Ils sont exténués, relate-t-elle. On ne peut plus parler d'un programme de travail normal, d'autant que d'une certaine façon ces profs en sont arrivés à répondre de la vie des enfants », s'émeut la jeune femme. La voix tremblante, elle se rappelle ce concours en ligne qu'elle a organisé courant 2022 et auquel de très nombreux enfants ont participé depuis les bunkers où ils se trouvaient. « Tous disaient que ça allait, que ce n'était pas si dangereux, alors que nous, les adultes qui lisions leurs travaux, on savait très bien que ça l'était. C'est comme si on avait pris encore plus la dimension tragique de ce qui se passait », se remémore Olena, qui peine parfois à exprimer certains souvenirs encore vivaces. 


Détruire le système éducatif ukrainien, priorité stratégique pour les Russes

Pour qualifier l'entreprise de démolition russe du système éducatif ukrainien, la journaliste n’a pas de mots assez crus, et évoque « un acharnement systématique et programmé, dans un but de destruction totale. S'ils n'occupent pas une ville ils vont en bombarder les écoles en priorité, s'ils sont sur place leur objectif va être via la propagande d'en changer totalement l'enseignement », détaille Olena. Les chiffres sont sans équivoque : 3 000 structures scolaires (crèches, écoles, universités, etc.) ont été détruites depuis le 24 février 2022. 

On sent que ce thème de l'éducation dont elle déplorait le côté plan-plan en 2017 a pris, dans le contexte actuel, une toute autre signification pour la jeune femme. Sa première réaction est de dire que les autorités devraient faire beaucoup plus, « qu'il y a urgence même », mais Olena préfère en retirer du positif, vu les conditions. « Beaucoup s'attendaient à ce que notre système éducatif s'effondre complètement, or ça continue », affirme fièrement la jeune femme. À la dernière rentrée en septembre ce sont même 7 000 écoles qui ont été ouvertes, avec dans chacune d'elles des règles en matière de sécurité bien mises en place. « Faute d'abris en cas d'attaques aériennes, 3 000 autres n'ont pas pu en faire autant », regrette-t-elle, lucide sur la situation de tous ces enfants qui étudient en ligne, dans leur ville ou loin de chez eux, dans un pays étranger. « C'est comme si le temps était suspendu au-dessus de toute une génération », soupire-t-elle. 


Des professeurs héroïques

Un temps que beaucoup passent à résister. Pour Olena, « cela passe par la langue avant tout, les jeunes aussi ont compris cela, surtout ceux qui ont été aux prises avec la propagande russe », juge-t-elle. Après avoir quitté Donetsk, Olena a aussi vécu dans la ville de Balakliia, au sud de Karkhov, où elle a tissé des liens. Après son départ, des profs lui ont raconté l'occupation, les Russes qui les obligent à changer de programme scolaire. « Ils ont accepté mais ont pu, dans le dos des Russes qui détruisaient les manuels ukrainiens, sauver quelques livres. C'était vraiment dangereux, tu peux être torturé pour ça. Mais grâce à eux ils ont pu continuer à suivre le programme ukrainien en ligne et en cachette ». Olena en parle comme de héros : « c'était ultra secret, personne n'avait le droit d'en parler. Ça a duré pendant deux mois, avant la libération par l'armée ukrainienne. Ça me donne envie de pleurer quand je pense à leur courage à tous », avoue Olena. Beaucoup d'écoles auraient fait la même chose, assure-t-elle. Certains n'ont pas vécu la libération ; « dans des endroits il y a eu des disparitions de profs, du jour au lendemain on n'a plus entendu parler d'eux », lâche dans un énième soupir la jeune femme.

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