Moi, journaliste libyen : Mounir Almouhandes
Projet associé
HiwarDix journalistes ont accepté de livrer leurs regards croisés sur leur métier.
Cette semaine, découvrez le témoignage de Mounir Almouhandes, activiste et écrivain libyen, producteur du journal télévisé et d'interviews sur la chaîne Sky News Arabia – Istanbul (Turquie).
Je m'appelle Mounir.
Je suis citoyen, journaliste et militant. J'ai participé à la Révolution du 17 février afin de renverser le régime de Kadhafi et d'instaurer les principes de démocratie et de liberté d'expression.
Mon expérience professionnelle a commencé au début de la révolution libyenne. J'ai travaillé pour une chaîne partisane des révolutions du Printemps arabe. Durant ce temps, j'ai fait la connaissance de personnalités arabes originaires des pays qui ont connu le Printemps arabe.
Dès qu'elles savaient où je travaillais, elles me considéraient comme un agent, même si elles le disaient comme compliment ou plaisanterie. J'ai vécu maintes fois cette situation, plus tard, après la fin de la Révolution. C'était très frustrant. J'essayais de me contenir et de clarifier les choses.
J'essaie toujours de travailler selon les principes du professionnalisme et de l'éthique du métier, mais cela ne suffit pas, car le simple fait de travailler pour un média ayant ses propres stratégies fera systématiquement de toi un journaliste dépourvu de personnalité au regard des autres.
J'ai ensuite reçu une offre de travail d'une chaîne arabe d'orientation différente. J'ai saisi cette opportunité en espérant passer à une nouvelle étape, acceptée par les autres. Mais dès que le jeu politique en Libye a commencé à gagner en maturité, de nouveaux surnoms, pas mieux que les précédents, ont fait leur apparition. La situation est devenue plus compliquée avec le clivage politique, au point que le simple fait de voyager ou de se trouver dans un pays donné était considéré comme une accusation pouvant t'imposer un interrogatoire et te faire qualifier de traître.
Ajoutons à cela d'autres situations susceptibles de décider de ta position en tant que partisan ou détracteur d'un parti, lors d'une discussion portant sur un fait inacceptable humainement ou lors d'une rencontre fortuite. Toutes ces situations te classent de façon hostile, sans considération aucune de l'indépendance de ton statut de citoyen, tout simplement.
J'essaie de coexister avec tous les partis et de me comporter de manière professionnelle, sans influencer les autres ni me laisser influencer par leurs avis ou par leurs opinions. Mais cette situation est la plus difficile puisque chaque parti considère que tu es de l'autre côté.
Voilà, en bref, mon expérience. Je ne soutiens aucun parti et n'accepterai jamais de soutenir un parti libyen qui combat un autre parti libyen au nom du pouvoir.
J'essaie d'exercer mon métier pour gagner dignement ma vie. Mais même la dignité signifie désormais d'être classé, dès qu'elle est prononcée. Aujourd'hui, la situation se résume ainsi : si tu n'es pas de mon côté, alors tu es du côté de mon adversaire. Pourquoi devrais-je me plier aux volontés de l'autre et être la personne qu'il veut que je sois ?
Tout ce que je souhaite, c'est être un citoyen dans un pays civilisé, jouissant du droit de la liberté d'expression, critiquant tout acte qui s'oppose aux normes de l'humanité, soutenant le droit de l'autre à travers le journalisme et révélant les problèmes vécus.
Afin de préserver le dialogue démocratique en Libye, CFI a lancé, en partenariat avec le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le projet Hiwar début 2017. Ce projet offre un espace d'expression de différents points de vue sur la presse libyenne. Une session, composée de quatre ateliers, a été organisée en Tunisie. Douze journalistes libyens, venant de Libye, de Jordanie, de Turquie, d'Égypte et de Tunisie, y ont participé.
Ce témoignage fait partie du livret Moi, journaliste libyen, qui regroupe des textes libres préparés par les journalistes du projet Hiwar.
Retrouvez l'intégralité de ces textes dans le kiosque.