Hala Kodmani
Projet associé
L'incubateur des médias syriensJournaliste franco-syrienne spécialisée dans la couverture des révolutions arabes, et plus particulièrement syrienne, Hala Kodmani travaille depuis 2011 pour le quotidien français Libération, le magazine d’actualité hebdomadaire L’Express et d’autres médias français.
Au début du soulèvement syrien et jusqu’en 2015, elle s’est rendue à Damas et dans le reste de la Syrie, dont Alep et Raqa. En 2016, elle a été recrutée comme journaliste permanente à Libération pour couvrir l’ensemble du Moyen-Orient. Elle nous raconte l’évolution des médias en Syrie pendant la dernière décennie.
Comment était le paysage médiatique au début de la révolution syrienne ?
C’est en 2011 qu’ont commencé les premières tentatives d’expression journalistique. Dès le début des manifestations, la guerre est devenue aussi médiatique, puisque le régime niait l’existence des rassemblements et accusait les manifestants d’être des terroristes. Les jeunes ont voulu raconter ce qu’ils étaient en train de vivre et ils ont tourné des images avec leurs téléphones portables, pour montrer ces révoltes. Ils ont été les premiers relais des médias arabes et internationaux, pour rendre compte des débuts du soulèvement syrien. C’était très spontané et très local puisqu’on ne pouvait pas diffuser loin.
L’objectif était de donner des renseignements pratiques, où se trouvaient les forces de police par exemple. Les premiers journaux sont nés parmi des petits groupes de militants, comme Enab Baladi à Daraya, dans la Ghouta. Au départ, c’était vraiment une "feuille de chou" photocopiée, distribuée clandestinement. Puis, il y a eu les réseaux sociaux. Les pages Facebook ne faisaient pas uniquement le lien entre les uns et les autres, elles étaient de réelles sources d’information avec des vidéos, des photos et des commentaires. Une trentaine de projets médiatiques ont ainsi éclos sur Facebook.
Comment décririez-vous le rôle des journalistes et notamment des citoyens reporters au cours de ces dix dernières années ?
Leur rôle a évidemment beaucoup évolué. Au départ, ils ne se voyaient pas comme des citoyens reporters. C’est une étiquette qu’on leur a collée par la suite. C’était des militants, des révoltés, ils faisaient ça parce que c’était une façon de faire avancer leur cause, de porter leurs voix. Puis ils se sont progressivement professionnalisés, notamment grâce à des organisations internationales qui, à partir de 2012, ont essayé de structurer cette expression médiatique complètement spontanée.
Qu’avez-vous observé au sujet de l’évolution de la place des femmes journalistes en Syrie ?
Sur ce point, le déséquilibre était complètement criant les premières années de la révolte. Les quelques femmes, que ce soit des militantes, des journalistes ou des citoyennes reporters, se faisaient très discrètes. Elles avaient beaucoup plus peur, pas seulement politiquement, mais aussi à cause de la société. Ce déséquilibre flagrant perdure, mais il y a eu beaucoup de progrès au cours des dernières années. Une véritable prise de conscience a eu lieu. Les femmes syriennes ont commencé à occuper beaucoup plus de rôles actifs, dans les médias ou ailleurs dans la société civile.
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Quel bilan tirez-vous de cette décennie pour les médias syriens ?
Il y a eu une période, en 2012-2013, où de nombreux médias se sont développés et structurés, notamment grâce à l’aide d’organisations internationales de développement qui sont venues massivement investir dans ce secteur. Les médias, publications ou radios, se sont multipliés jusqu’en 2014-2015, puis progressivement, à mesure que la guerre syrienne s’enlisait, ils ont perdu de l’influence alors que, parallèlement, le soutien des organisations diminuait également.
Que retenez-vous de votre expérience au sein du Syrian media incubator, l’incubateur des médias syriens ?
Ce projet a été un très grand moment pour la petite scène médiatique syrienne qui se créait, ainsi que pour ces jeunes qui produisaient des images, des photos ou des textes. Pour la première fois, dans une ville turque où se trouvaient des Syriens militants, activistes et reporters, une structure leur était entièrement dédiée. Ce lieu a constitué un repère pour ces journalistes, ainsi que pour ceux qui rentraient et sortaient de Syrie. CFI et l’organisme de coopération danoise IMS (International Media Support) y ont monté tout un programme de formations. Les jeunes journalistes syriens que j’ai pu former venaient souvent de l’intérieur du pays ou d’Alep, et je suis restée en contact avec eux.
De temps en temps, ils me font signe, me proposent des sujets ou me demandent de l’aide.
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