Une journée avec l’équipe de bénévoles en aide aux déplacés
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Cette semaine, le journaliste irakien Munaf Al-Saidy décrit le quotidien de jeunes bénévoles à Bagdad et dans la région de Mossoul.
Paru dans Urpress le 30 août 2017
Il est six heures du matin à Bagdad. Abbas Majed se change rapidement. Ses vêtements sont éparpillés aux quatre coins de la pièce depuis son retour de la veille, épuisé par son activité bénévole dans le centre-ville. Depuis plus de trois ans, le jeune-homme de 26 ans s'est engagé dans le bénévolat avec plusieurs groupes de jeunes et des associations humanitaires locales en Irak. Il croit au "rôle du travail bénévole dans la construction d'un État civil respectant les droits de l'Homme".
Cependant, Abbas a préféré rejoindre une équipe de jeunes bénévoles locaux, dont le nom est Taawon al Khayri (littéralement
la collaboration caritative), qui s'occupe d'aider les déplacés et les familles pauvres dans les villes irakiennes. Cette équipe est composée de quinze militants partagent tous le même désir de maintenir le travail bénévole dans un pays tiraillé par les conflits ethniques et confessionnels. "Nous aidons les déplacés et les familles défavorisées directement sur place, afin de combattre les préjugés confessionnels et racistes dont la société irakienne souffre beaucoup. Notre équipe comporte des bénévoles appartenant à toutes les religions et les communautés d'Irak", déclare Abbas.
Sur leurs propres deniers, l'équipe de Taawon al Khayri, qu'Abbas a rejoint récemment, lutte contre le confessionnalisme, le racisme et la corruption pour accomplir des changements radicaux au sein de cette ville, qui compte plus de huit millions d'habitants.
"C'est ainsi que nous, la génération de la guerre, luttons pour la vie ici, en présentant une image différente."
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Alors que les forces irakiennes et leurs alliés combattent contre Daech, Abbas et son équipe de bénévoles œuvrent pour aider les déplacés ayant fui les régions des théâtres d'opérations militaires, afin de subvenir à leurs besoins fondamentaux : se nourrir, s'habiller, avoir un toit. Malgré le manque de ressources et de soutien, la pérennité de leur travail repose ici sur les donateurs basés en Irak et sur les communautés irakiennes à l'étranger. La guerre, qui a éclaté à l'été 2014, a forcé environ 3,2 millions d'Irakiens à fuir leur maison, d'après les rapports des Nations Unies.
Abbas, qui travaille comme fonctionnaire dans une compagnie pétrolière du pays, s'est habitué à consacrer ses fins de semaine au travail bénévole, il ne partage plus de temps avec sa famille et n'accomplit plus d'autres obligations sociales.
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"Personne ne peut effacer les souffrances que les gens ont éprouvées pendant leur fuite de Daech. Ils ont fait face à la violence et à la guerre, mais ils ont aussi appris à comprendre le sens de la solidarité et de l'union pendant cette épreuve difficile" indique Abbas. Et il ajoute : "Des problèmes considérables nous font obstacle, les médias, par exemple, jouent un rôle catastrophique en diffusant et promulguant des discours de violence et de haine."
Il marche à grands pas vers le quartier principal, afin de prendre un taxi qui l'emmènera au marché aux puces ou peu-têtre au marché de
Tchétchénie, l'un des plus grands marchés du Bagdad populaire, nommé ainsi en référence aux événements de la Tchéchénie russe dans les années 90. Ce qui différencie ce marché des autres marchés de la capitale, c'est que la plupart des vendeurs sont pauvres, ils étalent leurs produits par terre et les vendent à petit prix. Les clients de ce marché sont également issus de milieux modestes. Abbas se rend à ce marché pour y acheter environ 40 mètres de plaques métalliques qu'il utilisera dans la construction de toitures de maisons. Sortir tôt est synonyme pour lui d'une bonne affaire : il pourra obtenir la quantité demandée à un prix qu'il peut payer.
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Abbas a passé une heure et demie en voiture pour arriver à destination. Le marché n'était pas bondé comme d'habitude. Trois ans de combats ont suffi à créer une réalité tragique touchant tous les niveaux. La crise économique, surtout à cause de la chute des prix du pétrole, a atteint son paroxysme et les opportunités de travail se font rares.
Réinstaller les déplacés dans leurs régions
À des centaines de kilomètres au Nord, Alaa Faraj, 29 ans, un bénévole et ses amis de la même équipe Taawon al Khayri s'affairent à creuser des puits d'eau potable dans une des régions de Mossoul libérée du contrôle de Daech après la destruction de son infrastructure, notamment les réseaux d'eau potable. La mission de l'équipe reste cependant d'aider à réinstaller les déplacés dans leurs régions après leur libération. L'équipe bénévole a pénétré dans les régions libérées, escortée par les forces de sécurité peu après le départ de Daech, comme à Mossoul.
"Depuis trois semaines, nous travaillons afin d'assurer une eau potable aux familles de retour en ville. La situation ici est très difficile parce que l'infrastructure a complètement été détruite et les travaux de reconstruction de la ville demandent des efforts internationaux pour que les déplacés puissent revenir et se réinstaller."
Alaa répond de temps en temps à des coups de fil de sa famille pour les rassurer, avant d'ajouter : "ma famille n'apprécie pas ce que je fais, ils sont très inquiets à cause de ce que la presse diffuse à propos de la situation sécuritaire ici. Nous avons foi dans le fait que notre travail humanitaire nous unit et élimine l'esprit de sectarisme et de racisme."
Abbas trouve ce dont il a besoin en plaques métalliques à un très bon prix, mais le vendeur a besoin de monnaie parce qu'il n'a encore rien vendu. Dans le marché des pauvres, il est difficile de trouver de la monnaie en échange de billets de valeur élevée.
À environ 30 km de là, Mohammad Khattab et ses enfants, des déplacés de la ville d'Anbar, attendent que l'équipe de bénévoles finisse le toit de leur maison le jour-même pour qu'ils puissent se protéger de la chaleur du soleil. Il regarde les jeunes qui s'affairent à déplacer les briques et à fixer les colonnes en fer sur lesquelles les plaques métalliques que Abbas transporte, et que la circulation empêche d'arriver, viendront se placer.
Un des fils de Mohammad se met à ses côtés, il serre la main de son père contre sa poitrine en lui demandant quand les travaux de la maison prendront fin et s'ils pourront y dormir ce soir. Le père regarde son fils et lui dit que l'équipe oeuvre pour qu'ils puissent dormir dans la maison le plus vite possible mais qu'ils attendent l'arrivée des plaques
métalliques.
À Mossoul, Alaa et son équipe partagent leur déjeuner avec des habitants de retour dans la ville. Ils profitent de l'occasion pour parler avec eux du concept de la coexistence pacifique et de son rôle dans l'éradication du confessionnalisme et pour le respect des droits des minorités de la ville. "Je préfère prendre mon déjeuner en compagnie des résidents de retour dans leur ville, afin de créer un lien de sympathie avec eux et partager notre message, qui dit que l'union fait la force et que cette force est significative", dit-il avant d'ajouter "nos membres appartiennent à toutes les communautés et religions qui luttent contre le terrorisme. Et nous, grâce à notre travail humanitaire, nous luttons contre le fanatisme et la haine et nous invitons au respect des droits d'autrui."
Malgré les efforts fournis par Alaa et Abbas et leurs deux équipes, ils sont confrontés à beaucoup de difficultés à cause du manque de ressources et de l'ampleur des dégâts causés par les combats. Ces dégâts nécessitent un effort international pour y faire face. Cependant, l'équipe ne fait pas confiance à beaucoup d'associations locales publiques de Mossoul et d'autres villes libérées : "Depuis 2003, et jusqu'à ce jour, les associations internationales ont dépensé des sommes considérables dans des projets de développement et de droits de l'Homme. Mais cet argent est volé par beaucoup de courtiers du travail humanitaire et de bénévoles sous couvert d'associations humanitaires."
Mohammad Khattab regarde longtemps le toit métallique dans l'ombre de sa maison, la larme à l'œil
. Un des membres de l'équipe le remarque et lui donne une tape sur l'épaule. Mohammad essaye de lui embrasser la main, une main brune et rugueuse après avoir transporté des briques, mais le bénévole retire sa main et le prend dans ses bras en disant : "Ne vous en faites pas ! Je vous souhaite beaucoup de confort dans votre nouvelle maison."
"Ces jeunes sont remarquables, ils méritent tout notre amour et notre reconnaissance. Ils nous ont inculqué l'esprit d'amour et d'union, ils représentent un avenir radieux pour ce pays. J'espère que mes enfants apprendront le dévouement grâce à ce que ces jeunes font, car ils sont doués et dévoués dans leur travail", souligne Mohammad Khattab, 46 ans.
Abbas et les autres membres de l'équipe quittent la nouvelle maison de Mohammad Khattab pour rentrer chez eux au crépuscule. Sur la route, Abbas appelle son collègue, membre de l'équipe d'Alaa pour lui raconter que la famille de Mohammad dormira ce soir dans sa nouvelle maison "sous un toit de plaques métalliques bien fixées".
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