Mosul talks : la synthèse à Erbil

Mosul talks : la synthèse à Erbil

La conférence de clôture présenta la synthèse des ateliers de Mossoul dans le but de faire avancer le débat sur les moyens concrets à mettre en place pour permettre aux médias de jouer leur rôle d'artisan de la paix.

Le principal objectif du projet #MosulTalks était de promouvoir et de faciliter le dialogue entre plusieurs acteurs autour des enjeux majeurs de la réconciliation, de la cohésion sociale et ce, afin de renforcer le rôle des médias et du journalisme dans ces domaines. À cette fin, le projet a rassemblé les principales parties prenantes du secteur lors d'une conférence à Erbil. Le but de cet événement était de présenter les problématiques et les idées discutées durant les ateliers de Mossoul, et de faire avancer le débat sur les moyens concrets à mettre en place pour permettre aux médias de jouer leur rôle d'artisan de la paix. La liste complète des participants à cette conférence, parmi lesquels de nombreuses ONG internationales, des OSC locales et des activistes, est disponible au début dans la brochure de présentation. Les messages de soutien des consuls français et allemand d'Erbil ont ouvert la conférence.

Deux allocutions ont été prononcées : la première, de l'ONG Sanad for Peacebuilding, a inauguré l'événement en présentant les défis majeurs de la réconciliation et ses agences actives en Irak ; la seconde, du bureau de l' UNESCO en Irak, a clôturé la conférence en dressant le bilan des principaux débats et messages aux médias. La journée a également été ponctuée par trois présentations des principales idées et discussions de chacun des ateliers de Mossoul.
Dans un message vidéo, Omar Mohammed, fondateur du blog Mosul Eye, a évoqué les difficultés qu'il a rencontrées en tant que journaliste à Mossoul. Il a par ailleurs exposé des idées d'opportunités pour les médias en activité dans des régions précédemment occupées par l'EI. L'après-midi, un débat animé par Mohammed Mofti, écrivain né à Mossoul, a réuni des représentants des médias (Saleh Elias, journaliste indépendant et collaborateur de Niqash, et Rasha Wahab, ancienne journaliste de Shariqya et candidate aux élections), des universitaires (les professeurs Irada Al Jabouri, du département médias de l'université de Bagdad, et Waad Ibrahim, de l'université de Mossoul), aux côtés de Jafaar Hadaad, homme d'affaires de Mossoul et candidat aux élections.
L'événement d'Erbil a repris certaines discussions des ateliers de Mossoul pour les approfondir, notamment du point de vue de la communauté internationale impliquée dans les efforts de réconciliation.
Les principaux sujets de discussion sont présentés ci-après.

1. Qu'est-ce que la réconciliation ?

Tout au long de la journée, les participants ont réfléchi à l'importance de définir la réconciliation dans le contexte irakien, et plus précisément de la province de Ninive.
Les participants ont déploré la confusion, notamment parmi la communauté internationale et les donateurs, entre reconstruction et réconciliation. Malgré le lien qui existe entre ces deux concepts, il a été suggéré d'adopter une approche globale en matière de cohésion sociale et de consolidation de la paix, qui couvrirait la construction, la santé et les médias, ainsi que les aspects socioculturels de la Le rôle des médias doit consister à donner la parole aux personnes marginalisées et aux groupes minoritaires. société irakienne. Il a également été souligné que la réconciliation devait être envisagée comme un processus et non comme un résultat. Le travail de fond réalisé en matière de communication et de sensibilisation, associé au développement de partenariats avec les différents acteurs sur le terrain, a été jugé indispensable à la réussite du processus de réconciliation. Une discussion a également permis de réfléchir sur l'importance du développement des opportunités et de l'autonomisation économique des groupes minoritaires et marginalisés, un facteur essentiel à la résolution de certains problèmes entravant la cohésion sociale de la société irakienne.

Solution média :
Le rôle des médias doit consister à donner la parole aux personnes marginalisées et aux groupes minoritaires, et à proposer un récit alternatif à celui de l'État. Ils doivent amplifier ces voix en permettant au public de parler de son passé douloureux, tout en rendant compte des défis et opportunités actuels en matière de réconciliation, selon différents points de vue.

2. L'expression « affiliation à l'EI » est utilisée sans qu'aucune définition n'ait été établie pour en indiquer clairement le sens ou en préciser la portée

Les participants du groupe ont débattu des problématiques liées au traitement réservé aux anciens partisans de l'EI, communément appelés collaborateurs de l'EI, et à leur famille. Si certains participants ont affirmé qu'une réconciliation était possible, d'autres ont souligné que les « camps de concentration » réservés à ces anciens partisans de l'EI ne constituaient pas une solution viable aux problèmes de cohésion sociale et de consolidation de la paix. Des efforts restent à faire afin de définir Un journalisme basé sur les faits et l'exactitude est gage de transparence.les différents niveaux d'affiliation, ce qui nécessiterait une approche de terrain impliquant les communautés locales. Par ailleurs, l'adoption d'une approche pédagogique transversale pourrait favoriser le travail de sensibilisation communautaire en ciblant toutes les tranches d'âge dans chaque niveau. Globalement, le manque d'informations sur le travail réalisé par des OSC locales et nationales dans ce domaine a été à nouveau déploré.

Solution média :
Un journalisme basé sur les faits et l'exactitude est gage de transparence et peut fournir au public les informations nécessaires pour des décisions éclairées. Un contact permanent avec les OSC et les chargés de communication des pouvoirs locaux permettrait de recueillir l'ensemble des informations dont les journalistes ont besoin pour bien informer les citoyens.

3. Il y a un manque de volonté politique pour soutenir le développement et le changement dans la société irakienne, avec un désintérêt manifeste concernant la reconstruction et la réconciliation des zones récemment libérées

L'ensemble des participants, des médias aux OSC en passant par les universitaires et même les pouvoirs politiques, ont déploré ce problème tant au niveau local que national. Il a été rappelé que rien n'avait été fait pour comprendre l'origine de la situation actuelle de Ninive et les raisons qui ont poussé une partie de la population locale à soutenir l'EI. Quelques participants ont mis en cause les pouvoirs politiques, accusés d'avoir créé et alimenté les conditions de l'ethno-sectarisme en Irak. Une mobilisation des médias pour faire avancer les initiatives de politique publique.Ces mêmes participants ont déclaré que la consolidation de la paix n'était toujours pas institutionnalisée, malgré une forte volonté publique de cohésion sociale, et que le manque de confiance du public dans les mécanismes officiels de justice entraînait des actes violents de représailles, dont les auteurs étaient traités avec impunité. La question de la résolution des problèmes d'exclusion dans un environnement politique apathique a été largement discutée ; il a notamment été souligné que le problème de réconciliation entre les partisans supposés de l'EI et leur famille ne pourrait être résolu sans l'intervention du gouvernement.

Solution média :
Une mobilisation des médias pour faire avancer les initiatives de politique publique, promouvoir le débat et susciter l'adhésion de la communauté. Celle-ci pourrait à la fois exercer une pression sur les législateurs et les pouvoirs politiques afin qu'ils rendent des comptes sur leur immobilisme et mettre en lumière les inquiétudes rapportées par les citoyens. À un niveau plus modeste, les médias pourraient utiliser les réseaux sociaux pour dénoncer l'immobilisme du gouvernement et son manque de soutien en faveur des initiatives communautaires locales.

4. Alors que les médias bénéficient de plusieurs opportunités, ces derniers échouent à soutenir le public et leur audience

Deux raisons ont été évoquées : un manque de compétences et de connaissances au sein des médias ainsi que leur affiliation politique, voire dans certains cas celle de leurs journalistes. Concernant les problèmes de compétences, outre le manque de journalistes qualifiés pour couvrir les sujets liés à la réconciliation, on déplore l'incapacité de les former sur ce sujet. Par ailleurs, l'absence d'organismes de formation ouverts aux étudiants et aux journalistes et dispensant des formations tant pratiques que théoriques, pénalise durement l'Irak. Waad Ibrahim, enseignant en sociologie et directeur de l'école des médias de l'Université de Mossoul, s'est longuement exprimé sur le manque de soutien pratique dont pâtissent les étudiants de son département, ainsi que du manque de connaissances du corps professoral sur la manière d'enseigner le journalisme et les pratiques des médias. Les participants ont lancé un appel urgent aux organisations et donateurs internationaux pour qu'ils soutiennent plus activement la formation, le renforcement des compétences et l'élaboration de programmes académiques au niveau universitaire.
Le problème de l'appartenance et de l'orientation politiques des médias irakiens a également fait l'objet de longues discussions. Les organisations internationales dédiées au développement des médias pourraient renforcer les capacités des médias locaux.
La forte politisation des médias, attribuée en substance à l'économie politique et à leur mode de financement, a été pointée du doigt comme l'une des causes du climat actuel. Pour beaucoup, les médias alimentent le conflit et jouent un rôle politique laissant le public face à une propagande issue de toutes parts : qu'il s'agisse du gouvernement irakien, de l'opposition ou de l'EI. Une inquiétude a été émise concernant la situation financière des médias irakiens qui ne les incite pas à couvrir des sujets et des histoires en rapport avec la cohésion sociale, la plupart des médias relayant uniquement le point de vue de leur propriétaire.
Il a été signalé que, malgré la présence de nombreux journalistes professionnels dans les médias irakiens, aucun média n'était réellement indépendant dans le pays.

Solution média 1 :
Les organisations internationales dédiées au développement des médias pourraient renforcer les capacités des médias locaux en proposant des formations thématiques aux journalistes et aux étudiants en journalisme afin d'améliorer les pratiques dans des domaines tels que : les reportages post-conflit, la cohésion sociale et la consolidation de la paix, les médias en ligne et les réseaux sociaux, la création de documentaires, la déontologie... Des efforts supplémentaires dans l'élaboration de programmes pour les universités et les écoles, associant théorie et pratique, permettraient à terme aux futures générations de journalistes d'acquérir les connaissances et l'expertise nécessaires pour exercer leurs fonctions de manière professionnelle.

Solution média 2 :
Les audiences et les utilisateurs des médias sont tout aussi importants. Des programmes d'éducation aux médias et à l'information permettraient au public d'acquérir les compétences nécessaires pour avoir un regard critique sur l'information diffusée par les médias – un point particulièrement important pour les élèves et les étudiants.

5. Le discours de haine est alimenté par les médias

Tous les participants ont relaté plusieurs cas de discours de haine et d'incitation à la violence sur les réseaux sociaux, soulignant le manque de sensibilisation du public sur ces contenus et la manière de lutter contre leur propagation. Médias et journalistes doivent être formés pour identifier les discours de haine.
Les participants ont fait part de leur inquiétude quant au rôle des médias dominants dans l'exacerbation de cette situation. Les pouvoirs politiques ont également été accusés d'utiliser les réseaux sociaux pour servir leurs propres intérêts, souvent par l'usage de propos haineux. Les participants ont reconnu le rôle important des programmes pédagogiques et d'éducation aux médias dans la lutte contre les discours de haine et leur propagation.

Solution média :
Médias et journalistes doivent être formés pour identifier les discours de haine et élaborer des recommandations claires pour reconnaître un tel discours, selon le contexte. Ces recommandations doivent couvrir l'ensemble du contenu, du langage aux images, afin de permettre aux médias de rapporter toute situation de manière éthique
et responsable.

6. Il est nécessaire de développer une plus grande confiance dans les médias afin d'établir, par le journalisme, des conditions plus propices à la réconciliation et à la cohésion sociale

Dans un tel environnement, comment les médias peuvent-ils inspirer confiance au public afin de pouvoir contribuer à la réconciliation à long terme ? Au cours des discussions organisées dans le cadre de la conférence, les participants ont suggéré de renforcer les médias de deux façons. Premièrement, les normes et standards des pratiques journalistiques professionnelles doivent être respectés et maintenus. Cela concerne en priorité le gouvernement, qui doit favoriser un environnement propice à la liberté et à l'indépendance des médias irakiens en soutenant un cadre juridique plus efficace en matière de liberté d'expression et d'accès à l'information pour les journalistes. Les médias doivent également remplir leur part du contrat en s'assurant que leurs Les organisations internationales doivent également se concentrer sur la formation des formateurs. pratiques reflètent les principes du journalisme professionnel, comme l'exactitude, la transparence ou la garantie de sources d'information diversifiées, tout en donnant la parole aux groupes minoritaires et aux exclus de la société irakienne. Il est nécessaire de mettre l'accent sur le journalisme d'investigation qui dénonce la corruption dans les entreprises, au sein du gouvernement et à tous les niveaux de la société. Deuxièmement, il est vital d'accorder la priorité aux histoires et sujets liés spécifiquement à la cohésion sociale et à la réconciliation. Il a été souligné que, dans le cas de Mossoul, les médias se sont concentrés sur la destruction de la ville plutôt que sur les actions positives de coopération et de reconstruction.

Solution média :
Des initiatives de renforcement des capacités seront indispensables pour promouvoir le développement des compétences et le professionnalisme des journalistes.
Les organisations internationales doivent également se concentrer sur la « formation des formateurs » afin d'améliorer les compétences de formation internes du pays à long terme.

7. La coordination, le partage de connaissances et une implication régulière de tous les acteurs clés de la réconciliation favoriseraient un environnement plus propice au développement des mécanismes de réconciliation

Selon les participants, cela pourrait fonctionner à deux niveaux. Premièrement, grâce au partage de connaissances d'experts et aux exemples de pays ayant traversé les mêmes événements à l'instar du Rwanda, de la Bosnie ou de l'Afrique du Sud. Ces derniers seraient en mesure d'apporter un éclairage utile pour la province de Ninive et d'autres régions irakiennes récemment libérées, comme les provinces d'Al-Anbar et de Salah ad-Din. L'exemple d'autres pays ayant vécu une situation Constituer un réseau de coordination pour les acteurs de la réconciliation. similaire permettrait de faire comprendre, à la fois au gouvernement et au peuple irakien, que réparer une injustice par une autre ne peut résoudre les problèmes sociétaux. Deuxièmement, il a été suggéré qu'un groupe de coordination et un réseau d'acteurs clés de la réconciliation, incluant les médias, pourraient fournir une plate-forme de discussion et de partage d'informations pour un travail collaboratif.

Solution média :
Il existe actuellement une proposition, sous réserve de financement, de constituer un réseau de coordination pour les acteurs de la réconciliation sous l'égide de l'ONG Sanad for Peacebuilding. Les médias sont invités à rejoindre cette initiative et y prendre part activement.
Il a également été suggéré que ce groupe pourrait créer sa propre plate-forme (une application ou un site mobile), sur l'exemple d' alsouria.net.

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