Moi, journaliste libyen : Sefyan Khalaf Allah

Moi, journaliste libyen : Sefyan Khalaf Allah

Le témoignage de Sefyan Khalaf Allah, Directeur exécutif du Centre pour le développement des médias en Libye.

Je m'appelle Sefyan Khalaf Allah.

Après la révolution libyenne de 2011, qui a appelé au changement positif, il était urgent de reconstruire le secteur des médias en Libye. En effet, celui-ci n'était qu'un outil de promotion d'un système totalitaire et autoritaire quatre décennies durant. Ce système a réprimé la liberté de la presse, la liberté d'expression et même les Droits de l'Homme. La reconstruction du secteur des médias et de la presse en Libye est l'un des axes les plus importants de la période de transition vers la démocratie. Pas de démocratie sans médias libres et indépendants.

L'époque du régime totalitaire en Libye a eu un impact très grand sur la presse en général et sur les journalistes en particulier. En effet, le milieu manque de professionnalisme. De plus, l'environnement n'est pas propice : il ne permet pas aux journalistes et aux acteurs des médias d'exercer leur métier en toute liberté et avec compétence ; il ne fournit pas les lois et les réglementations qui protègent et garantissent la liberté de la presse et la liberté d'expression. Le secteur des médias libyens a besoin d'être soutenu, afin qu'il puisse se reconstruire et se restructurer, à partir de zéro.

Mon rôle se situe à ce niveau, comme tout citoyen libyen qui souhaite renforcer les principes et la culture démocratique en Libye, établir l'alternance pacifique au pouvoir et la séparation des pouvoirs, et sensibiliser et encourager les autres citoyens à la participation politique, notamment à travers les pratiques électorales.

Au début, j'ai travaillé au sein de l'Organisation de soutien à la démocratie. Grâce à cette organisation de la société civile, que j'ai fondée vers la fin 2011, j'ai pu participer à de nombreux projets de sensibilisation, à des initiatives de défense des droits généraux, des droits des minorités ethniques et d'autonomisation des femmes. Nous avons constitué une équipe de 120 observateurs bénévoles des deux sexes pour surveiller les élections du Congrès national général de juillet 2012.

Comme les autres militants des institutions de la société civile, j'ai fait face à beaucoup de difficultés et de défis en raison de la situation politique et sécuritaire instable en Libye. Ainsi, j'ai dû maintes fois changer les projets ou même les annuler. Toutefois, ces défis n'ont fait qu'accroître ma détermination et ma conviction que la phase que traverse mon cher pays est une phase délicate et extrêmement importante, qui nécessite toutes les contributions, aussi petites soient-elles. Mon choix s'est ainsi porté sur le domaine du développement de la presse pour apporter ma contribution à la reconstruction de ce secteur important, afin de rebâtir la nouvelle Libye, la Libye libre, la Libye "État de droit" et ses institutions, et promouvoir des valeurs de tolérance et de justice transitionnelle.

Quant à l'initiative du Centre pour le développement des médias, je l'ai lancée en tant qu'organisation nationale à but non lucratif, après une expérience dans le domaine du développement des médias en tant que directeur exécutif d'une institution de la société civile, l'Institut libyen des médias, en 2013. J'étais principalement chargé de concevoir les programmes de formation pour les journalistes.

J'ai également travaillé dans la conception et l'application, in situ, d'un programme visant à renforcer les capacités de six quotidiens locaux libyens : rédaction des informations, mise en place des réunions de rédaction, gestion financière et gestion des ressources humaines.
À cette même époque, j'ai monté une formation pour plusieurs journalistes de différentes villes de Libye sur le thème de la couverture médiatique des élections au Parlement libyen de juin 2014.

Mon approche pour gérer la mise en œuvre des programmes de formation et de renforcement des compétences des journalistes s'est basée sur l'échange d'expériences. En effet, les formateurs étaient internationaux et dotés d'une longue expérience dans le domaine de la presse au sein de pays en transition démocratique, tels que la Libye ou ceux ayant connu le Printemps arabe. Ces programmes visaient à former des journalistes libyens aux normes internationales des journalistes libyens.

Cependant, les choses ont changé après la guerre qui a mis le feu à l'aéroport international de Tripoli et aux réservoirs de carburant, durant la deuxième moitié de 2014. Les corps diplomatiques internationaux et les organisations internationales œuvrant dans différents domaines, dont celui du développement des médias, ont été immédiatement évacués. Nous n'avions plus la possibilité de faire venir des formateurs internationaux en Libye en raison des risques élevés.

Comme j'ai l'habitude de m'adapter rapidement, j'ai conçu un autre programme de formation pour contribuer au développement du secteur de la presse en Libye. Il s'agit de former des formateurs libyens indépendants, qui se chargeront à leur tour de former ultérieurement leurs collègues à l'intérieur du pays. J'ai pu réaliser ce programme grâce à la signature de conventions de partenariat avec deux bailleurs internationaux : International Media Support (IMS) et Deutsche Welle Akademie (DW-A). Mi-2016, nous avons poursuivi ce projet avec succès.

Treize formateurs libyens ont obtenu leur diplôme après avoir participé assidûment aux huit mois de formation à Tunis, accompagnés par quatre formateurs internationaux envoyés par nos deux partenaires.

Puis je me suis mis d'accord avec IMS pour donner la possibilité aux nouveaux formateurs libyens de contribuer à la formation de leurs collègues à l'intérieur de la Libye, à travers un programme de formation en plusieurs phases. Tout d'abord, durant la deuxième moitié de 2016, j'ai réalisé une cartographie des agences de médias opérant à l'intérieur de la Libye. Ce travail avait pour but d'identifier d'éventuels partenaires pour une formation locale auprès de journalistes libyens, en collaboration directe avec leur propre agence médiatique. Les résultats du projet ont montré que les médias les plus répandus et les plus stables en Libye étaient les chaînes de radio. Je me suis donc mis en contact avec toutes les chaînes de radio correspondant à nos critères de formation. Au total, 24 chaînes de radio ont été désignées comme "éventuels partenaires".

En décembre 2016, j'ai réussi à signer quatorze protocoles d'accord avec quatorze chaînes de radio locales dans onze villes différentes à l'est, à l'ouest et au sud du pays. C'était la deuxième étape.

J'exécute actuellement la troisième et dernière étape, qui consiste à monter un projet autour du "contenu informationnel des chaînes de radio locales en Libye". Il s'adresse à 56 journalistes de radio, formés in situ par deux équipes composées de quatre formateurs locaux, anciens diplômés du programme de formation des formateurs. Il s'étale de mars à avril 2017. Ce programme aidera à renforcer le professionnalisme journalistique chez les journalistes et les agences de médias bénéficiaires.

De plus, je participe de temps en temps à des séminaires et à des ateliers sur la consolidation de la liberté de la presse et de la liberté d'expression. Dernièrement, j'ai eu l'occasion de participer à quatre séminaires, de janvier à avril 2014, organisés par CFI, l'agence française de coopération médias, du projet Hiwar : Regards croisés sur le journalisme libyen.

Pour conclure, je suis fermement convaincu que le secteur des médias, de par ses trois composantes individus, institutions et environnements propices, a besoin de plus d'efforts de la part de tous, afin d'être reconstruit et développé selon les normes internationales de la presse moderne. Pour qu'il soit libre, indépendant et professionnel, et qu'il contribue à l'instauration de la paix civile et à la diffusion des principes de démocratie en Libye. Pas de démocratie sans médias libres et indépendants.


Afin de préserver le dialogue démocratique en Libye, CFI a lancé, en partenariat avec le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le projet Hiwar début 2017. Ce projet offre un espace d'expression de différents points de vue sur la presse libyenne. Une session, composée de quatre ateliers, a été organisée en Tunisie. Douze journalistes libyens, venant de Libye, de Jordanie, de Turquie, d'Égypte et de Tunisie, y ont participé.

Ce témoignage fait partie du livret Moi, journaliste libyen, qui regroupe des textes libres préparés par les journalistes du projet Hiwar.

Retrouvez l'intégralité de ces textes dans le kiosque.

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