Le journalisme judiciaire en débat au Lviv Media Forum 2021
Projet associé
PRAVO-Justice, volet médiasCe débat public consacré au projet ukrainien Pravo a également abordé des questions telles que la place du journalisme judiciaire dans le paysage médiatique actuel ou la manière de présenter au public des articles captivants sur les tribunaux et la justice.
Le Forum LMF (Lviv Media Forum) constitue depuis 2013 la plus importante plateforme médiatique d’Ukraine et l’un des plus grands forums d’Europe centrale et orientale consacré aux médias ; il rassemble chaque année dans la capitale de l’Ukraine occidentale des journalistes, des professionnel.es des médias, diverses parties prenantes ainsi que les représentants officiels d’un large éventail de pays.
Après une interruption en 2020 pour cause de pandémie, le forum de cette année s’est déroulé à Lviv les 26-27-28 août 2021.
Au deuxième jour de cette manifestation, CFI a invité les participantes et participants à une discussion sur le thème : Quelles informations un journaliste doit-il rechercher dans les tribunaux ?
Sans oublier un volet consacré à un état des lieux et au développement du journalisme judiciaire en Ukraine.
- Milan Zaitsev, assistant de projet à Kiev, a animé la discussion,
- et Stéphane Siohan, coordinateur national de Pravo-Justice, a présenté le concept du cursus de formation au journalisme judiciaire.
Deux journalistes éminents complétaient ce panel :
- Serhii Andrushko, reporter à Schemes (un programme d’investigation ukrainien de Radio Free Europe) et formateur national en journalisme pour CFI,
- et Anton Naumliuk, reporter et rédacteur en chef de Graty, un média ukrainien axé sur les droits de humains et la justice. Graty vient de lancer, avec le soutien de l’agence, une série de podcasts sur la justice au début de l’été 2021. Les panélistes ont également présenté les études les plus intéressantes publiées par les stagiaires. Les observations issues du programme ainsi que les principales différences entre les pratiques judiciaires françaises et ukrainiennes, et les conditions de travail des journalistes ont aussi été abordées.
Ce ne sera pas comme en France, a expliqué Milan Zaitsev, évoquant la très grande popularité des récits de crimes réels auprès du public français. Le paysage ukrainien est différent, mais le concept reste identique : présenter un vaste éventail d’histoires d’une manière attrayante par le biais d’articles de qualité.
Raconter des histoires intéressantes sur la vie de monsieur-tout-le-monde
Serhii Andrushko s’est penché sur les défis actuels auxquels sont confrontés les chroniqueuses et chroniqueurs judiciaires. Il a inspiré les participantes et les participants en leur démontrant qu’il était possible de raconter des histoires intéressantes sur la vie de monsieur-tout-le-monde quand les choses commencent à mal tourner, et que traiter ces héros de cette manière constituait l’essence du genre.
Il a ajouté que les registres publics et le déroulement des audiences regorgeaient de récits de ce genre et qu’il suffisait aux journalistes de savoir les attraper au vol.Un journaliste ne doit avoir ni sexe, ni religion ni passeport.
Les participants du panel ont présenté la toute première série de podcasts ukrainienne couvrant des histoires de crimes réels Колючі ріжучі (objets tranchants, en ukrainien) produit par le site de contenus en ligne Graty, l’un des bénéficiaires du projet Pravo-Justice. Ce format populaire relativement inédit permet d’atteindre un public plus large pour relater des histoires incroyables sur des gens ordinaires et sur la justice quotidienne du pays.
Anton Naumliuk, rédacteur en chef de Graty, a, de son côté, insisté sur certains points :
Un journaliste ne doit avoir ni sexe, ni religion ni passeport. C’est une exagération, bien entendu, mais elle reste généralement vraie. Je ne me lasse pas de le répéter, a-t-il argumenté, en s’étendant sur la distinction entre le rôle du journaliste et celui des militants.
Les difficultés internes : dans 99 % des cas, les plaideurs perçoivent un journaliste au tribunal soit comme un adversaire, soit comme un allié (souvent à juste titre d’ailleurs, auquel cas nous sommes bien sûr loin du journalisme), en imaginant qu’il est possible de l’acheter, de le séduire ou de l’intimider. Mais rien de permettra de faire évoluer les choses, si ce n’est montrer par l’exemple et apporter de longues et fastidieuses explications.
L’Ukraine réunit toutes les conditions pour cultiver un journalisme judiciaire de qualité
Si le journalisme judiciaire en tant que genre distinct n’en est qu’à ses prémices dans ce pays, et en dépit de multiples difficultés, le panel a conclu le débat sur une note positive en soulignant les grandes avancées observées par rapport à la plupart des voisins post-soviétiques au niveau des conditions de travail. Les participants ont noté que l’Ukraine comptait déjà deux organes médiatiques se concentrant exclusivement sur les questions de justice, Graty et SudReporter, qui font en quelque sorte office d’agences de presse sur la justice pour le reste du paysage médiatique national.
L’Ukraine réunit toutes les conditions pour cultiver un journalisme judiciaire de qualité et d’envergure, une option qui reste impossible en Russie ou, à plus forte raison, au Bélarus et en Asie centrale.
J’ai dit un jour, et je le répète souvent, que je me sentais comme dans l’œil d’un cyclone : tout se précipite et s’effondre autour de nous, alors que nous nous trouvons ici comme dans une oasis, à travailler dans une paix et un confort relatifs. Et cela ne résulte pas du bon vouloir des autorités, mais bien de la société et de la collectivité journalistique qui défendent leurs lignes de démarcation. Même s’ils ne prennent pas toujours la juste mesure de leur valeur, a conclu Anton Naumliuk.