Le Desk mise sur l’investigation au Maroc

Le Desk mise sur l’investigation au Maroc

Un jour dans mon média est une série de témoignages, qui illustre chaque semaine le quotidien de personnes travaillant dans les médias de l'Afrique, du monde arabe et de l'Asie du Sud-Est, accompagnés par CFI.

Cette semaine, entretien avec Ali Amar qui est le fondateur de Le Desk.


Le Desk est un site d'information en ligne, né en 2015 au Maroc, à l'initiative du journaliste Ali Amar. Après des études d'économie, il intégra la direction internationale d'une banque marocaine pendant cinq ans. La création du journal La Vie économique, très lu dans le monde des affaires, fut l'occasion pour lui de se lancer dans le journalisme.

À l'orée de la liberté de la presse

Le Maroc a au moins dix ans d'avance sur les transformations médiatiques qui se passent aujourd'hui dans d'autres pays.Pour Ali Amar, La Vie économique a influencé la presse marocaine de manière positive, en ouvrant la voie aux médias indépendants. Quelques années plus tard, ce média est revendu et l'équipe de jeunes journalistes qui y travaillait décide de lancer le Journal hebdo, qui entend briser les tabous et démocratiser la liberté de la presse.
"Cette ouverture lui a permis de mieux encaisser le choc du Printemps arabe car nous avions déjà des espaces de débat ici", affirme Ali.
Le Journal hebdo est fermé en janvier 2010 sur décision judiciaire et ses fondateurs se dispersent. Ali Amar quitte le pays et travaille pour différents médias à l'étranger.
Il monte Le Desk en 2015, héritier du Journal hebdo, dans un contexte numérique encourageant, avec l'émergence de nouvelles pratiques journalistiques. Le journal est soutenu financièrement par CFI via son projet Ebticar. Ali Amar conserve alors le même modèle et focalise le média sur le journalisme d'investigation.

Une ligne éditoriale audacieuse

Ali Amar est aujourd'hui directeur de la publication du Desk.
Ce site est disponible en français et en arabe et fournit un décryptage précis et documenté de l'actualité. Un fonctionnement qui lui a valu d'être rapidement reconnu à l'international : "Nous sommes partenaires de Médiapart, mais aussi du ICIJaux USA, le consortium de journalistes à l'origine des Panama Papers récompensé par le prix Pullitzer. Il y a une forme de reconnaissance collective à avoir été mis dans le secret", souligne fièrement Ali.
Le Desk n'est pas à proprement parler un média de masse ou populaire, son lectorat est plutôt francophone, issu des classes moyennes supérieures. "Nous ne sommes à la recherche ni du clic ni du buzz. Nous sommes à contre-courant de tout cela et nous nous adressons donc à un lectorat averti", affirme-t-il. Son contenu est par contre très fréquemment repris par des médias en ligne plus connus, ce qui contribue à la vulgarisation du long format.

Le siège du Desk est à Casablanca, dans le quartier très animé de Mers Sultan.
L'équipe compte une dizaine de personnes. Les journalistes travaillent en collaboration : "Il y a un fact-checking à l'intérieur même de la rédaction. Les papiers franchissent plusieurs étapes de contrôle et nous faisons de notre mieux pour faire parler toutes les parties dans nos investigations. À la fin de chaque sujet, il y a un paragraphe sur les conditions d'enquête. C'est un marqueur de véracité pour le lectorat", affirme le directeur de la publication.

Quelques difficultés d'ordre économique

Cette campagne nous a été inspirée par Mediapart, qui nous a aidés et accompagnés à nos premières heures.La rentabilité est le principal problème rencontré par Le Desk.
Au début, le site était totalement payant. Aujourd'hui, son modèle économique repose principalement sur le freemium avec une partie du contenu qui est gratuite et l'autre payante. Il y a quelques années, Ali et son équipe ont lancé la campagne numérique #DerriereLeDesk. L'objectif était d'inciter les Marocains à s'abonner en faisant la promotion d'un média au service des lecteurs. Ce système était alors inconnu au Maroc. Il a fallu faire preuve de pédagogie pour expliquer aux Marocains qu'une information de qualité requiert des ressources.

En novembre 2016, alors que le journal rencontre de grandes difficultés financières, une seconde campagne, intitulée #SauvonsLeDesk, voit le jour. Celle-ci porte ses fruits : des entreprises et des universités marocaines souscrivent à des abonnements pour leurs salariés et leurs étudiants. Le média résiste et, malgré quelques suppressions de postes, parvient à redresser la barre. Son capital est ouvert à un petit groupe d'investisseurs à travers un pacte d'associés consultable sur le site.
Aujourd'hui, Le Desk reste fragile mais il a évité la faillite.

Entretien réalisé lors des Rencontres 4M Paris, en avril 2016


Climat difficile

"Nous sommes sous pression et subissons beaucoup d'attaques pour décrédibiliser Le Desk", explique Ali, qui dépeint une ambiance difficile au Maroc lorsque l'on est journaliste. "Les journalistes s'imposent une auto-censure et basculent dans le conformisme. Au lieu d'arrêter un journaliste pour un article, on va l'attendre au tournant et le piéger avec une autre affaire sans rapport avec sa profession", détaille Ali Amar.
Afin d'éviter toute polémique, Le Desk fournit de nombreuses preuves pour étayer ses révélations. Même si le paysage médiatique marocain a beaucoup évolué, certains sujets demeurent tout de même radioactifs, selon le journaliste.

Les Marocains ont tendance à penser que le journalisme se meurt : "Les médias ont une mauvaise réputation en raison de la presse de caniveau qui attaque des entreprises pour les racketter. Les médias indépendants ont plus de poids. Le Desk a clarifié un débat public qui était brouillé. Nous avons réhabilité l'enquête comme genre journalistique et imposé de nouveaux standards", estime-t-il.
Il lui reste maintenant à pérenniser son projet, tout en développant d'autres modes de diffusion.

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