Citoyenneté numérique : ce que l'Afrique prépare

Citoyenneté numérique : ce que l'Afrique prépare

Bénin - Burkina Faso - Côte d'Ivoire - République démocratique du Congo - Ghana - Madagascar - Sénégal

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Introduction

L'accès aux réseaux sociaux a permis de rendre plus visible et plus audible une société civile en Afrique subsaharienne. Dans les sept pays de cette étude (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Ghana, Madagascar, République démocratique du Congo, Sénégal), la prise de parole de citoyens sans mandat dans les débats politiques se libère, des initiatives citoyennes se multiplient dans des domaines où l'action publique fait défaut et on assiste à l'émergence de figures de référence (les influenceurs) capables de peser sur les débats publics, notamment en raison de leur audience sur les réseaux sociaux.

Dans ce nouveau contexte, les périodes électorales constituent des moments de tension, d'autant que l'exemple sénégalais de 2012 a montré que des citoyens réunis autour d'une poignée d'activistes pouvaient organiser une comptabilité alternative des résultats d'un scrutin en étant présents dans un grand nombre de bureaux de vote et en communiquant les résultats via SMS ou via les réseaux sociaux.

Le nombre de coupures de l'accès à Facebook, voire à l'internet, au cours des derniers mois en Afrique subsaharienne, est aussi la preuve de l'importance prise par les réseaux sociaux dans la circulation de l'information. La tentation se fait jour du côté des gouvernements d'en criminaliser l'usage. Le Zimbabwe a déjà initié la préparation d'une loi destinée à lutter contre le cybercrime qui menace la liberté d'expression. Il est à craindre que d'autres pays soient tentés de suivre la même voie dans les prochains mois.
Dans le même temps, on constate qu'un nombre croissant d'institutions et de services publics s'installent sur Facebook et tentent l'exercice difficile du dialogue direct en ligne avec les citoyens.

À Dakar, Abidjan, Bamako ou Kinshasa, des citoyens se mobilisent pour collecter, produire et diffuser l'information sur le web et jouer, ainsi, un rôle de plus en plus actif et important dans les débats publics.Les conversations initiées sur les réseaux sociaux (Facebook et WhatsApp essentiellement) ont de plus en plus d'impact.
En Côte d'Ivoire, elles ont conduit le chef de l'État à annoncer l'annulation d'une mesure de hausse des prix de l'électricité.
Au Sénégal, c'est la construction de l'ambassade de Turquie sur le domaine public maritime qui a dû être annulée.

Cette étude de terrain, réalisée en mai et juin 2016, a mobilisé des correspondants locaux dans sept pays. Un premier aperçu de l'environnement et des acteurs du web citoyen a été complété par une série d'interviews et une mission sur le terrain. Des activistes et des observateurs privilégiés d'autres pays, comme le Cameroun ou le Mali, ont également été interviewés.

Au total, 41 personnes ont participé à l'étude.
Dans leur grande majorité, il s'agit d'activistes et d'acteurs du web citoyen en Afrique subsaharienne. Quelques experts sectoriels ont également été sollicités. Tout en étant impliqués dans les débats de leur pays, ces internautes engagés sont très fortement connectés entre eux par-delà les frontières et partagent leurs expériences en temps réel, créant de facto une sorte de club panafricain des cyberactivistes. Le réseau des Africtivistes est l'une des concrétisations de ces échanges transnationaux.

État des lieux du numérique

LE TÉLÉPHONE MOBILE POUR TOUS

Solidement ancrée au bas des classements internationaux en matière d'indicateurs d'accès aux innovations issues des technologies numériques, l'Afrique est pourtant engagée dans un mouvement d'adoption rapide de certaines de ces technologies.
Parmi les évolutions les plus significatives, le téléphone mobile s'est imposé en une dizaine d'années comme un objet d'usage quotidien dans la plupart des pays, grâce notamment à une baisse des coûts d'accès au matériel et à la concurrence engendrée par la multiplication des acteurs dans le secteur.

Les utilisateurs qui ont désormais le choix n'hésitent pas à acheter plusieurs cartes SIM pour bénéficier des meilleurs tarifs et des promotions proposées par chaque opérateur. Le taux d'équipement peut finalement dépasser 100% dans certains pays.

En 2014, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Sénégal comptabilisaient plus d'un téléphone mobile par personne.

LE LENT DÉCOLLAGE DE L'INTERNET

Sur le modèle de l'indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l'Union Internationale des Télécommunications (IUT) a établi un Indice de développement des TIC (IDI). Il s'agit d'un instrument de mesure de l'état de santé du secteur des TIC. Son objectif est d'exprimer sur une échelle de 1 à 10, les évolutions dans quatre domaines : le développement des TIC, les progrès réalisés dans le temps, la réduction de la fracture numérique et les futures potentialités de croissance.

Les données publiées par l'IUT dans son dernier rapport révèlent que, malgré les progrès enregistrés ces dernières années, les pays du continent affichent une progression en retrait par rapport aux autres zones géographiques. L'Afrique conserve une grande marge de progression et a besoin de solides investissements pour rattraper son retard.

En matière d'accessibilité, les pays couverts par notre étude peuvent être classés en deux groupes :
>> ceux qui ont franchi la barre des 20% de la population connectée à domicile sur ordinateur, mobile ou tablette. Ce groupe comprend le Ghana, le Sénégal et la Côte d'Ivoire.
>> ceux dont la population est connectée à moins de 10% : on y trouve le Bénin, le Burkina Faso, la République démocratique du Congo et Madagascar.

FACEBOOK, SYNONYME D'INTERNET POUR LES NOUVEAUX INTERNAUTES

Pas besoin d'un ordinateur et encore moins d'une adresse e-mail pour ouvrir un compte Facebook et profiter des principaux services proposés par le géant américain. Un numéro de téléphone suffit. Avec son site mobile Zero Facebook, le réseau social offre également un accès gratuit à ses principaux services. Depuis leur téléphone, les utilisateurs peuvent mettre à jour leurs statuts, consulter leurs flux, commenter des publications ou encore envoyer et lire des messages.
Cet accès facilité est à l'origine de la montée en puissance phénoménale de Facebook en l'espace de quelques années.

L'internet sans Facebook n'aurait sans doute pas le même attrait pour les nouveaux internautes qui arrivent en ligne chaque jour en Afrique subsaharienne. Le réseau social est en effet devenu la destination de choix pour s'informer, interagir avec sa famille et ses amis, faire du commerce et bavarder.

Profils des activistes

GÉNÉRATION « ACTION CITOYENNE »

Les premiers acteurs citoyens engagés sur le terrain numérique sont apparus il y a une dizaine d'années en Afrique francophone. Les plus anciens ont fait leurs premiers pas en ligne (souvent en ouvrant des blogs) entre 2005 et 2010.

C'est par exemple à cette époque que le lycéen sénégalais Cheikh Fall commence à mettre en ligne ses cours pour partager ce qu'il apprend avec ses pairs qui sont encore rares sur l'internet à cette époque.

En parcourant les communautés engagées dans l'action citoyenne en ligne et en rencontrant les animateurs de ces mobilisations, c'est d'abord leur niveau de formation initiale qui frappe.
La plupart des acteurs ont suivi des études universitaires poussées (bac + 5 et au-delà).

La plupart des acteurs citoyens rencontrés dans le cadre de cette étude parlent d'une mission dont ils se sentaient investis. Leur engagement doit peu au hasard mais plutôt à la rencontre d'une opportunité technologique et d'une conviction profonde. Et les motivations qui sous-tendent l'engagement des acteurs citoyens sont de plusieurs ordres.

Pour la Béninoise Mylène Flicka, le choc se produit lors d'un stage au sein du ministère des Affaires étrangères de son pays : " J'ai eu la plus grande désillusion de ma vie en raison de la lenteur administrative, des méthodes employées et toute cette panoplie des petites erreurs dans l'administration."

" Je trouvais frustrant que la presse passe sous silence l'emprisonnement ou l'assassinat de grévistes par les forces de l'ordre par exemple. J'ai découvert alors la possibilité pour les citoyens d'utiliser l'internet pour partager l'information, photos et vidéos à l'appui", raconte pour sa part l'Ivoirien Cyriac Gbogou.

DES ACTEURS CITOYENS BIEN FORMÉS QUI DEVIENNENT FORMATEURS

Disposant d'une solide formation initiale, certains des activistes rencontrés, notamment les plus âgés, accordent une importance particulière à la question de la formation de leurs pairs. Partager son savoir et ses compétences fait partie du comportement de l'activiste numérique.

Pour Joël Nlepe au Cameroun, il s'agit " d'ouvrir les yeux aux gens, pour dire : voilà ce qui se passe en ce qui concerne la marche du monde."

La place des femmes dans la société compte également parmi les questions centrales.
Si ces dernières sont généralement minoritaires dans les événements ou actions impliquant le recours aux nouvelles technologies, de nombreuses initiatives tentent de renverser la vapeur.

Au Sénégal, avec l'incubateur Jiggen Tech, Awa Gueye diffuse le savoir auprès des femmes : " Ces femmes ont plusieurs profils, mais le point commun c'est que tout ce qu'elles font se rapporte à la technologie. Avec l'incubateur Jiggen Tech, on fait des formations un peu partout dans des écoles avec les plus jeunes, dès le lycée, pour les former au code et à tout ce qui se rapporte à l'informatique, ce qui permet à ces jeunes filles, après le lycée, d'avoir envie de se lancer dans une formation scientifique."

Portraits d'activistes

KINNA LIKIMANI
Féministe, cette blogueuse ghanéo-kenyane de 40 ans utilise les technologies pour réduire différentes formes d'exclusion. Elle est à l'origine du projet Ghana decides qui s'est appuyé sur le web et les réseaux sociaux pour le monitoring des élections et la couverture du processus électoral lors de la présidentielle de 2013 au Ghana. Kinna Likimani mène des actions de terrain pour veiller à la prise en compte par les décideurs des aspirations de ces populations absentes de l'internet.


CHEIKH FALL
Blogueur et cyber-activiste, ce Sénégalais de 34 ans est l'initiateur de #Sunu2012, une plateforme de contrôle citoyen du scrutin présidentiel de 2012 au Sénégal. Il travaille aujourd'hui à la mise en réseau des activistes de différents pays d'Afrique subsaharienne à travers le collectif Africtivistes. Il est convaincu qu'une utilisation habile de la technologie permet d'alerter, informer et faire plier les dirigeants des pays les plus fermés au débat public et à la notion de redevabilité.


LARISSA DIAKANUA
Journaliste et blogueuse, cette Congolaise de 33 ans voit l'internet et les réseaux sociaux comme des outils de prise de parole et d'accès au savoir indispensables pour un pays comme la République démocratique du Congo. "La liberté d'expression est plus facile sur l'internet. On peut dire ce qu'on pense sans craindre la censure et les pressions exercées sur les médias traditionnels", soutient-elle. C'est cette toute relative liberté d'expression dont elle use dans ses billets de blog pour, dit-elle, "raconter le Congo tel qu'il est vraiment et dénoncer les travers de la société pour essayer de changer les mentalités."

CYRIAC GBOGOU
Depuis la crise post-électorale de 2011 en Côte d'Ivoire, cet activiste de 36 ans est présent dans toutes les actions citoyennes engagées en ligne dans son pays. En janvier 2013, Cyriac est interpellé par la police en compagnie de Mohamed Diaby, un autre blogueur : après une bousculade mortelle autour d'un stade d'Abidjan, les deux blogueurs s'étaient lancés dans le recensement des victimes et le partage d'informations avec les familles à la recherche de proches. Une démarche qui n'était pas du goût des autorités.


Infrastructures

Parent pauvre en terme de bande passante disponible, le continent africain travaille à rattraper son retard sur le reste du monde. Alors que l'accroissement des capacités mondiales ralentit (hausse de seulement 31% en 2015 par rapport à 2014), la croissance africaine affiche une croissance annuelle moyenne de 51% au cours des cinq dernières années. L'arrivée de nouveaux câbles transocéaniques sur le continent (ACE, SEACOM, EASSy, WACS, etc.) conduit certains géants de l'internet comme Google à déployer des serveurs de cache en Afrique de manière à réduire le trafic internet longue distance (le plus coûteux).

Les tarifs de l'internet restent élevés

Reste que la bande passante disponible, rapportée à la population, demeure très faible si on la compare à la situation des pays développés comme la France, par exemple.
Dans bon nombre de pays du continent, la question de l'accessibilité demeure centrale. La principale contrainte soulignée par les personnes interrogées dans le cadre de cette étude est liée au coût. Au Bénin, par exemple, les acteurs du numérique se plaignent des tarifs très élevés de l'internet pratiqués par les opérateurs.

En juin 2016, des hausses de prix (jusqu'à 500% pour certains forfaits) ont été à l'origine de mouvements de protestation en République démocratique du Congo. La mobilisation des consommateurs a obligé le gouvernement à intervenir pour ramener les prix à leur niveau initial, déjà élevé par rapport à la moyenne régionale.
Dans l'ensemble des pays couverts par cette étude, les utilisateurs relèvent des difficultés d'accès lorsque l'on s'éloigne de la capitale ou des grandes villes.

Mobiles et réseaux sociaux

L'OMNIPRÉSENCE DU MOBILE
Le nombre d'abonnés mobiles uniques en Afrique subsaharienne a progressé de 18% par an au cours des cinq dernières années. La région connaît la plus forte croissance dans le monde, note l' Association des opérateurs mobiles dans un rapport de 2013. L'omniprésence des téléphones mobiles ne doit pas masquer le fait que les usages sont différenciés entre les possesseurs de smartphones, de feature phones et de simples téléphones basiques (conversations audio et SMS).
Les réseaux sociaux sont plus consultés que les sites d'info.
Toutefois, les prévisions concernant la montée en puissance du parc de smartphones en Afrique subsaharienne laissent entrevoir une démultiplication du nombre d'internautes disposant d'un accès mobile à l'internet, selon les projections des analystes. La commercialisation massive de smartphones chinois de milieu de gamme, à moins de 200 $, favorise l'arrivée sur l'internet de nouveaux segments de la population chaque année.

L'utilisation massive des téléphones portables et une passion prononcée pour les réseaux sociaux bouleversent profondément les usages. Face aux interactions sur Facebook et, dans une moindre mesure, sur Twitter et les autres plateformes communautaires, messagerie électronique et consultation de sites d'informations deviennent des activités secondaires.

LE RÔLE DE FACEBOOK
Si Facebook fait office de favori, c'est notamment parce qu'il est relativement aisé de créer des groupes et de fédérer les utilisateurs de ce réseau social autour d'un événement ponctuel ou d'une cause. Dans un contexte où libertés d'expression et de réunion sont malmenées, les groupes Facebook constituent une réelle alternative offrant un espace virtuel de discussions.

Au Burkina Faso, la page officielle de la Gendarmerie nationale, qui compte près de 43 000 membres, propose de "mieux accompagner les citoyens dans leur sécurité". En Côte d'Ivoire, atteindre la police par téléphone s'est à plusieurs reprises avéré moins efficace que de déposer un message dans le groupe Facebook « Police Secours », dont certains membres sont pompiers ou commissaires de police.

Facebook, et plus largement les réseaux sociaux, deviennent incontournables pour les entreprises, figures et institutions publiques qui investissent ces espaces communautaires et y trouvent un moyen d'interagir avec un public. Les réseaux sociaux prennent également une place centrale dans le paysage politique. Individuellement, ou en lien avec leurs partis, les acteurs politiques s'en servent pour diffuser leurs idées, créer et fédérer des communautés ou encore pour convaincre de futurs électeurs.

LE SUCCÈS DE WHATSAPP, VIBER ET SNAPCHAT

Comme le souligne le journaliste béninois Vincent Agué, la montée en puissance de WhatsApp se fait au même rythme que la démocratisation du mobile. "Depuis que les téléphones intelligents bas de gamme sont disponibles à tous les coins de rue à moins de 30 000 francs CFA (environ 50 €), l'usage des applications mobile populaires n'est plus réservé à une poignée de privilégiés ou de connaisseurs... Grâce à WhatsApp, qui fait le bonheur de ses utilisateurs de plus en plus nombreux, on préfère désormais activer un forfait internet sur son téléphone pour ses messages via WhatsApp que de payer pour les SMS classiques. C'est par Wazzap (c'est la prononciation populaire) qu'on échange dorénavant avec ses contacts."

Ce phénomène concerne tous les pays de notre étude même si aucun chiffre n'est communiqué par cette filiale de Facebook. La gratuité de la messagerie et la promesse d'une conversation cryptée de bout en bout sont autant d'argu L'une des particularités de Viber, c'est le lancement des "tchats publics" en Afrique.ments en faveur de son utilisation aux yeux des mobinautes africains.

Cet usage très grand public de WhatsApp ne va pas sans quelques dérives, notamment la propagation de rumeurs et la désinformation sous couvert d'anonymat. La diffusion de rumeurs et fausses informations accompagnées de la mention lu pour vous a été mentionnée dans plusieurs pays de l'étude.

Des tchats public sur Viber

Concurrent direct de WhatsApp, l'application de messagerie Viber connaît, elle aussi, un succès grandissant, mais difficile — là encore — à chiffrer et évaluer. L'application revendique 664 millions d'utilisateurs à travers le monde.

L'une des particularités de Viber, c'est le lancement des tchats publics en Afrique. Médias ou personnalités validés par la plateforme peuvent partager des informations avec des audiences parfois très importantes.

Le site allafrica.com dispose, par exemple, de plus de 100 000 abonnés à son tchat public. Au Sénégal, le portail Seneweb compte 3 500 abonnés. Une personnalité sénégalaise à l'audience internationale comme Youssou NDour affiche 171 000 abonnés. Et le tchat publicAfrica goes digital (échanges en français en dépit de son nom) compte 11 500 abonnés autour des contributions d'une trentaine de personnalités du continent consacrées aux mutations digitales de l'Afrique.

Snapchat décolle en douceur essentiellement chez les plus jeunes (moins de 25 ans).
Des pratiques communautaires se développent rapidement comme African Trip qui consiste à confier les clefs d'un compte Snapchat à une personne différente chaque jour pour lui permettre de faire découvrir son mode de vie et ses réactions sur l'actualité aux autres.

Circulation de l'information

L'ENJEU DE LA QUALITÉ
L'explosion du nombre d'utilisateurs et l'intérêt croissant pour les réseaux sociaux Sur les réseaux sociaux, le citoyen a également la possibilité d'interpeller directement les décideurs politiques. a des répercussions significatives sur la production et la consommation de l'information. L'époque des monopoles des médias d'État est bel et bien révolue. Au rythme de la progression des usages numériques, les médias traditionnels (presse écrite, radio et télé) doivent désormais composer avec l'entrée en scène des informateurs amateurs et l'émergence de nouveaux canaux de diffusion.

Autrefois confiné au rôle de spectateur, le citoyen est désormais acteur. Quand il ne la produit pas lui-même, il peut commenter, compléter ou contester l'information produite par les journalistes professionnels. Ces profonds bouleversements soulèvent des interrogations sur la pluralité et la qualité de l'information mais également sur les impacts de la quête d'instantanéité sur les citoyens, les journalistes et les acteurs politiques.

Les médias traditionnels à la traîne

Les acteurs interrogés se plaignent tous d'un manque de réactivité des médias traditionnels, à la traîne face à un public friand d'instantanéité. Une réalité qui laisse le champ libre aux informateurs amateurs avec les risques d'imprécision et de confusion que cela peut créer, sans parler des questions éthiques soulevées.

"Lors de l'attaque terroriste de Grand Bassam, le 13 mars 2016, les médias traditionnels ne sont arrivés sur les lieux du drame que plusieurs heures après les faits. L'information a été essentiellement diffusée par des témoins. Finalement les citoyens ordinaires ont été plus réactifs que les journalistes professionnels. Il s'est cependant posé des problèmes de crédibilité des informations diffusées et d'éthique.
Mais cela a souligné la nécessité pour les médias traditionnels de s'adapter à ces changements dans les habitudes des consommateurs"
, se souvient Israël Yoroba Guebo, journaliste et blogueur ivoirien.

Le flot d'information déversé sur les réseaux sociaux est largement partagé. Mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Réseaux sociaux et applications de messagerie instantanée servent également de relais pour la propagation de rumeurs. Les effets pervers de ces outils, qui constituent pourtant de véritables lieux d'échanges où les idées peuvent circuler librement, soulignent la nécessité de renforcer la production et la diffusion d'une information de qualité.

Le développement spectaculaire des médias en ligne dans les pays d'Afrique subsaharienne engendre une situation concurrentielle, une course à l'info qui connaît régulièrement des sorties de route. En 2013, un bug sur le portail abidjan.net a provoqué la re-publication d'un article vieux de deux ans qui annonçait un crash d'avion. L'information a aussitôt été reprise par des individus sur les réseaux sociaux et par certains médias. C'est finalement le blogueur Cyriac Gbogou qui mettra fin à cette fausse information en publiant un article sur son blog.


Les différentes communautés nationales ont adopté des hashtags pour rassembler les conversations liées à leur pays sur Twitter, généralement à l'initiative de blogueurs. En Côte d'Ivoire, c'est #Kpakpatoya qui s'est imposé. Le mot signifie commérages. Au Sénégal, c'est #Kebetu. En wolof, cela veut dire parloter, bavarder, causer. Au Bénin, c'est #Wasexo qui signifie littéralement "venez entendre parler".

La palabre traditionnelle s'exprime en ligne

Derrière ces mots-clés, qui sont autant de drapeaux virtuels derrière lesquels se regroupent les internautes des différents pays, une réalité transparaît. La palabre et le commentaire sur l'information (la traditionnelle titrologie chère aux Ivoiriens) ont trouvé un nouveau terrain d'expression en ligne.

Pourtant, à y regarder de plus près, le brouhaha des conversations masque une réalité moins évidente à déceler. Au Sénégal, s'il n'y a pas de censure, en revanche une autocensure réelle existe, selon Alexandre Gubert Lette :

"Oui, les gens parlent beaucoup mais il y a des sujets sur lesquels ils ne s'expriment pas. C'est comme s'il y avait une chape de plomb au-dessus de nos têtes. La question des confréries, on n'y touche pas. Il y a une sorte de consensus tacite qui dit que ça, on n'en parle pas. Et les droits des femmes, on n'en parle pas trop non plus selon moi."

Quand les blogueurs filtrent l'info

Ce travail de curation est une tâche habituellement dévolue aux médias. Lors de l'attaque terroriste sur la plage de Grand-Bassam, à quarante kilomètres d'Abidjan, la télévision nationale ne prendra la peine d'informer ses téléspectateurs des événements que peu avant 20 heures, alors que les télévisions d'information continue internationales les couvrent depuis plusieurs heures en édition spéciale.
Sur les réseaux sociaux, les Ivoiriens, font circuler toutes sortes d'informations. Un groupe de blogueurs s'organise aussitôt et filtre l'ensemble des contenus qui circulent, en mettant en garde sur l'absence de vérification, en essayant de recouper les témoignages… De leur côté, plusieurs journaux ivoiriens n'ont pas brillé au lendemain de l'attentat en publiant à la Une des photos qui n'avaient rien à voir avec les événements.

LES RÈGLES ÉTHIQUES ET DÉONTOLOGIQUES

Si la démocratisation du mobile et l'adoption massive des réseaux sociaux facilitent l'accès, les défis en matière de qualité de l'information restent entiers. Qu'elle transite par la radio, un site web ou une application mobile, une information doit être récoltée et traitée dans le respect d'un certain nombre de règles, notamment éthiques et déontologiques, qui en assurent la crédibilité.

Pour les journalistes :
Des médias professionnels et responsables peuvent jouer le rôle de garants de l'intérêt public. Une pratique professionnelle et éthique du journalisme nécessite cependant une formation de qualité. L'offre de formation initiale est peu étoffée et de qualité aléatoire.
Les cycles courts de formations généralistes ou thématiques proposés par les organisations internationales ne suffisent pas à combler tous les besoins. En conséquence, dans l'ensemble, les journalistes se forment sur le tas. S'ils peuvent bénéficier de l'encadrement des journalistes plus expérimentés lorsqu'ils débarquent dans les rédactions, la liberté de s'exprimer en ligne sans le filtre que constitue le rédacteur en chef les expose au risque de tomber dans le sensationnel.
De nombreux journalistes cèdent ainsi à la tentation de partager du contenu non sourcé ou des informations non vérifiées, largement diffusés sur les réseaux sociaux.

Pour les blogueurs :
Nouveaux acteurs dans le domaine de l'information, les blogueurs ne sont pas tous journalistes et pas tous conscients des responsabilités qui sont les leurs en prenant publiquement la parole. La culture issue du droit de la presse (respect de la vie privée, respect de la présomption d'innocence, diffamation, etc.) leur fait souvent défaut et les conduit, par méconnaissance, à franchir les lignes rouges définies par la loi.

Pour le grand public :
Les progrès de ces dernières années en matière de pluralisme et de diversification des sources mettent en exergue de nouveaux défis, notamment liés à l'interprétation de ce flot incessant d'informations déversées sur les réseaux sociaux. La difficulté à distinguer info et intox compte parmi les insuffisances observées chez les internautes qui découvrent le web à l'ère des réseaux sociaux.

C'est là qu'entrent en jeu ceux qui occupent une position centrale, ces commentateurs de l'information dont le rôle est de valider les contenus les plus partagés. Parfois journalistes ou tout simplement administrateurs de communautés en ligne, ces acteurs méritent une attention particulière au vu de la responsabilité qui leur incombe. Mieux outillés, ils contribueraient à réduire la portée des rumeurs et autres fausses informations largement diffusées sur les réseaux sociaux.

Participation citoyenne

Les soubresauts sociaux observés ces dernières années en Afrique francophone et l'émotion qu'ils déclenchent sont à l'origine de la mobilisation citoyenne. Inondations qui frappent régulièrement certains quartiers de Dakar ou difficultés d'accès aux services de santé de base déclenchent des mouvements de solidarité qui partent du web et se transforment, dans certains cas, en campagnes de collecte de fonds ou en manifestations publiques.

" Vous pouvez mobiliser les gens parce qu'une femme a longtemps attendu une intervention chirurgicale devant l'hôpital alors qu'il y avait le médecin à l'intérieur. En revanche, il est difficile de mobiliser en disant : habillez-vous en noir pour contester la candidature du chef de l'État à un nouveau mandat [...] Quand ça touche au bien-être des gens, c'est très concret, donc y a possibilité de mobilisation ", constate le Camerounais Joël Nlepe.

L'émotion comme déclencheur initial de mobilisation

La mobilisation au service de malades est l'une des actions les plus suivies dans plusieurs pays. En Côte d'Ivoire, plusieurs appels de fonds ont été lancés pour payer médicaments ou opérations chirurgicales à des personnes dont le sort avait ému les blogueurs. Lancé dans les heures agitées et violentes de 2011, alors que le pays peinait à sortir de la guerre civile, le hashtag #CIVsocial a été utilisé à de multiples reprises pour venir en aide à ces malades.

"Lors de la première collecte que nous avons organisée pour acheter des médicaments pour un enfant, je suis allé chercher l'argent chez les personnes qui proposaient de donner. La première personne se trouvait à l'autre bout de la ville et j'ai payé 3 000 francs CFA de taxi pour un don de 1 000 F CFA. J'étais un peu désespéré, mais finalement au bout de la journée, nous avons collecté 800 000 francs CFA, ce qui a permis d'acheter les médicaments", se souvient Cyriac Gbogou.

L'émotion peut également être provoquée par les passe-droits accordés à certains.Au Sénégal, le projet de construction de nouveaux bâtiments pour abriter l'ambassade de Turquie sur la corniche ouest a été à l'origine d'un important mouvement qui s'est traduit par des manifestations.
Les questions liées à l'accès à l'internet sont aussi de nature à mobiliser le premier cercle des acteurs du web citoyen. En juin 2016, en République démocratique du Congo, une campagne lancée en ligne visait à mobiliser contre une hausse des prix des forfaits internet (jusqu'à 500%). L'objectif de cette campagne était d'obtenir, de la part du gouvernement, l'annulation pure et simple de la nouvelle tarification jugée abusive. La mobilisation physique, qui a suivi celle lancée en ligne, a finalement fait intervenir le gouvernement qui a obligé les opérateurs à revenir à la tarification initiale.

Le développement de l'activisme
Les réseaux citoyens se développent sous différentes formes. Parmi les regroupements les plus influents et les plus structurés, dans la plupart des pays du continent, les associations de blogueurs jouent un rôle de contre-pouvoir et sont régulièrement considérées comme des foyers d'opposition.

Le Sénégal dispose de l'une des communautés d'activistes les plus actives d'Afrique francophone. Des groupes d'horizons divers se retrouvent régulièrement pour lancer des actions. Cet activisme trouve son origine dans le succès de l'opération de surveillance des élections #Sunu2012, qui a mobilisé des activistes pour la surveillance citoyenne de la régularité des opérations de vote à l'occasion de l'élection présidentielle de 2012.

"Quand on dit engagement citoyen, on passe pour un opposant", constate le journaliste camerounais Edouard Tamba. Les activistes en ligne jouent parfois le rôle d'ambassadeurs. Ils portent ainsi les revendications de leurs concitoyens, absents des canaux de diffusion en ligne que représentent les réseaux sociaux. L'engagement citoyen et l'organisation de mobilisations en ligne ont souvent pour effet de faire classer les activistes dans les rangs des opposants politiques.

QUELQUES EXEMPLES DE RÉSEAUX
Parmi les nombreux réseaux et communautés qui relèvent du domaine de l'action citoyenne, quelques exemples donnent une idée des échanges en cours sur Facebook, principale plateforme utilisée pour mobiliser :
>>Groupe Jeunesse consciente (RDC) - 190 000 membres
Groupe Facebook de partage d'informations et de débats sur l'actualité congolaise.
>>Groupe police secours (Côte d'Ivoire) - 41 000 membres
Un groupe Facebook où l'on retrouve commissaires de police, pompiers et autres acteurs, qui gèrent les questions d'accidents de la route, de délits de fuite ou de corruption.
>>Communauté pour lutter contre l'indiscipline des Sénégalais (Sénégal) - 31 000 membres
Un groupe Facebook qui dénonce le comportement incivique de certains automobilistes peu respectueux du code de la route et de ceux qui jettent leurs ordures n'importe où.
>>Communauté « Méritocratie malienne » (Mali) - 36 000 membres
Refuser le piston et les prébendes au profit des recrutements et promotions au mérite, c'est l'objet de ce groupe créé au Mali.

Gouvernance ouverte

Outils de communication incontournables, les réseaux sociaux occupent désormais une place centrale dans le paysage politique des pays étudiés. De plus en plus présents sur les principales plateformes communautaires, les acteurs politiques tentent de créer et fédérer des communautés en ligne.

En République démocratique du Congo, les restrictions dans l'accès des opposants aux médias publics et les pressions exercées par le gouvernement sur les médias privés imposent les réseaux sociaux comme unique alternative pour la prise de parole publique des voix discordantes. Les échanges les plus violents, mais aussi les plus intéressants, entre opposants et membres du gouvernement, transitent désormais par les réseaux sociaux.

Les échanges les plus intéressants sont sur les réseaux sociaux
Au Bénin, à la veille du dernier scrutin présidentiel, les internautes béninois pouvaient poser des questions sur le thème de l'emploi des jeunes au Premier ministre Lionel Zinsou, avec le hashtag #gouvernerautrement, une tentative de dialogue direct avec les citoyens qui est inspirée des Ask me anything de Barack Obama. Le scrutin présidentiel, qui a suivi quelques mois plus tard, a donné lieu à des échanges entre les candidats et des personnalités qui ont émergé sur le web et les réseaux sociaux.

Un signe encourageant aux yeux du journaliste Maurice Thantan :
"Il y a de l'avenir car les influenceurs seront de plus en plus écoutés et ainsi forceront les autorités publiques à changer les choses. Lorsqu'on voit des candidats à la présidentielle échanger avec les internautes dans le cadre d'un débat, c'est le signe qu'internet touche quand même déjà beaucoup de monde."

"Sur les 36 ministres que compte l'actuel gouvernement ivoirien, 31 alimentent des comptes Twitter ou Facebook. Mais ceux qui dialoguent réellement avec le public se comptent sur les doigts d'une main"
, tempère cependant le journaliste et blogueur ivoirien Daouda Coulibaly.

Les administrations et autres services publics marquent également leur présence sur les principales plateformes (Facebook et Twitter notamment). Si les citoyens attendent de leurs administrations plus d'ouverture, de dialogue et de transparence, ces dernières ne voient les réseaux sociaux que comme des outils de diffusion. Rares sont les administrations qui instaurent un réel dialogue avec leurs administrés.
La gestion des comptes officiels est généralement confiée à des services de communication habilités à publier du contenu, mais pas à répondre au nom du détenteur officiel du compte.

CO-CRÉATION DES LOIS ET DÉCISIONS GOUVERNEMENTALES : EXEMPLE DU PROGRAMME DE GOUVERNANCE CONCERTÉE (PGC) AU BÉNIN
En Afrique, les cas de coproduction de textes réglementaires ou législatifs font encore figure de science-fiction. Toutefois, au Bénin, des acteurs citoyens comme la No Limit Generation (organisme communautaire pour une jeunesse engagée) en partenariat avec le répertoire des talents Irawo, le Collectif des Créatifs du Bénin (CCBENIN) et la société de développement informatique OlaSoft ont lancé une initiative dont les résultats seront à suivre avec attention. A l'occasion de la dernière élection présidentielle, le Programme de Gouvernance Concertée visait à recueillir (entre février et mars 2016) des propositions pour le futur exécutif béninois issu des urnes. Les propositions ont été compilées pour en identifier 500 et doivent être remises au nouveau gouvernement.


Faire de la politique sur l'internet n'est pas une idée nouvelle au Bénin où Le Gouvernement virtuel du Bénin est un groupe Facebook créé en 2012 qui compte 12 746 membres. à l'initiative de ce groupe, on trouve plusieurs activistes béninois tels que Dine Adechian. L'objectif affiché de la communauté est de diriger la "République Virtuelle du Bénin".
Ce groupe, dont les membres commentent l'actualité nationale, est aussi un espace de diffusion d'opportunités d'emplois et de formations. Il s'agit d'un laboratoire d'initiatives citoyennes et politiques afin de contribuer au dialogue intergénérationnel, préparer la jeunesse béninoise à la connaissance du fonctionnement des institutions républicaines. Le groupe organise aussi des journées sportives et de salubrité, tous les mois, à Cotonou.

La quête du modèle économique

La recherche de revenus n'est jamais la première motivation des activistes citoyens que nous avons rencontrés. En revanche, la capacité à mobiliser des ressources financières est souvent une clef pour mettre sur pied des initiatives qui ont de l'impact et qui durent.

Sans attendre la mobilisation de bailleurs nationaux ou internationaux, ces activistes ont su mobiliser leurs communautés en ligne à travers des opérations de financement participatif à caractère humanitaire, en Côte d'Ivoire dès 2011 avec le hashtag #CIVsocial, ou au Sénégal dès 2012 avec le hashtag #SunuCause. L'argent a pu être collecté manuellement ou via des système de paiement mobile.

Opérations de financement en ligne
Au cours de ces opérations de collecte, le recours à des plateformes de financement participatif n'a jamais été envisagé. L'obligation de posséder une carte bancaire demeure un obstacle difficile à franchir pour la majorité des habitants du continent.
Faute d'une tierce partie garantissant le bon usage des fonds, c'est la transparence qui a été privilégiée par les activistes. Ils ont remercié individuellement et publiquement chaque donateur et tenu une comptabilité détaillée et publique des sommes dépensées.
Des bailleurs internationaux, comme OSIWA (Open Society Initiative for West Africa) ont ensuite contribué au financement de nombre d'actions de surveillance des opérations électorales dans différents pays.

Garantir une indépendance financière
Reste que la pérennité et la professionnalisation des actions engagées par les activistes reposent au moins en partie sur leur capacité à générer des ressources financières sur la durée. Force est de constater que ce sont les compétences acquises dans l'élaboration d'initiatives citoyennes en ligne que les acteurs citoyens parviennent le mieux à monétiser. Leur savoir-faire en matière de community management est considéré avec intérêt par des hommes politiques ainsi que par des entreprises ou des marques. Leur audience sur les réseaux sociaux leur vaut aussi nombre de sollicitations.
Dans les années qui viennent, la question de l'indépendance financière des activistes citoyens est appelée à monter en puissance. La nécessité de générer des ressources durables pour garantir leur indépendance sera l'un des défis importants à relever.

Conclusion

En Afrique, comme ailleurs, l'appropriation à grande vitesse de l'internet et des réseaux sociaux par les individus puis — plus lentement — par les organisations (médias, entreprises, institutions publiques, ONG, OSC, etc.) reconfigure rapidement et fortement l'espace public. Devenus producteurs, commentateurs et diffuseurs de contenus, les citoyens disposent de capacités inédites pour s'exprimer, se faire entendre et aussi pour s'organiser à moindre coût. Sur le terrain, dans les sept pays de l'étude, cette situation génère des opportunités et des espoirs sans précédent, mais n'est pas sans risques. L'accès de tous à l'expression publique et au partage de la connaissance cohabitent avec la désinformation et la crainte d'une surveillance généralisée. L'approfondissement des pratiques démocratiques dans les pays étudiés passe non seulement par le renforcement des capacités des médias et des journalistes, pour qu'ils puissent s'emparer pleinement des outils numériques, mais aussi par la montée en puissance d'un grand nombre de nouveaux acteurs citoyens qui ont déjà montré, notamment lors de rendez-vous électoraux, le rôle positif qu'ils pouvaient jouer.

Les enjeux liés à la qualité et à la diversité de l'information disponible dans ces pays, à la transparence de l'action publique et à la redevabilité des institutions, sont intimement liés à l'existence d'un écosystème structuré qui englobe des journalistes, des blogueurs, des développeurs informatiques, des représentants d'administrations publiques, des spécialistes des données ou de la cartographie, des membres d'OSC ou d'ONG, etc.

Accompagner ces acteurs citoyens d'Afrique dans le développement d'un espace public ouvert, pluriel, participatif et bien informé constitue aujourd'hui un défi à plusieurs dimensions :
>> Contribuer à l'amélioration de l'accès à l'information (et donc, à l'accès à l'internet) ;
>> Sensibiliser aux enjeux de la société numérique et de la participation citoyenne ;
>> Soutenir les acteurs de l'information et de la donnée au service du débat public ;
>> Structurer des réseaux nationaux/internationaux et d'éco-systèmes locaux d'acteurs citoyens ;
>> Développer une culture de la donnée publique ouverte et des usages que l'on peut en faire.

Nous sommes dans un moment historique où l'Histoire hésite encore : les outils numériques permettent autant l'ouverture et l'échange que la surveillance et la censure. De quel côté penchera la balance ? Les activistes citoyens sont aujourd'hui aux avant-postes de la bataille pour faire de l'internet et des réseaux sociaux des leviers d'approfondissement de la construction démocratique et d'un développement inclusif dans les pays d'Afrique subsaharienne.

Fiches pays

http://www.cfi.fr/fr/actualites/citoyennete-numerique-senegal

Abécédaire & sources

Cyberactivistes (ou web activistes) : ce terme désigne les différentes formes de militantisme pratiquées à l'aide de l'internet. Africtivistes, la ligue africaine des web activistes pour la démocratie, s'est réunie pour la première fois à Dakar en novembre 2015.

Open data : l'ouverture des données (open data) représente à la fois un mouvement, une philosophie d'accès à l'information et une pratique de publication de données librement accessibles et exploitables. Elle s'inscrit dans une tendance qui considère l'information publique comme un bien commun, dont la diffusion est d'intérêt public et général.

Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) : le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert est un partenariat multilatéral pour promouvoir la transparence de l'action publique et son ouverture à de nouvelles formes de concertation et de collaboration avec la société civile, en faisant notamment levier sur le numérique et les nouvelles technologies. Le PGO repose sur une gouvernance collégiale associant administrations et société civile. La France assure la présidence du PGO pour un an depuis septembre 2016.

Indice de démocratie : l'indice de démocratie, créé en 2006 par The Economist Group, évalue le niveau de démocratie de 167 pays. Le calcul est basé sur 60 critères regroupés en cinq catégories : le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique et la culture politique. La notation se fait selon une échelle allant de 0 à 10. À partir de cette note, les pays sont classifiés selon quatre régimes : démocratique, démocratique imparfait, hybride ou autoritaire.

Classement mondial de la liberté de la presse: Reporters sans frontières, 2016
Rapport Mesurer la société de l'information : Union internationale des télécommunications, 2014
Youth Transforming Africa : Banque mondiale, 12/05/2016
Youth employment in Sub-Saharan Africa (Vol. 2) : Banque mondiale, 01/01/2014
Evaluating Digital Citizen Engagement: Banque mondiale, février 2016
Africa Energy Outlook: International Energy Agency, 2014
Sub-Saharan Africa Mobile Economy 2013 : GSMA, 2013
The Global Information Technology Report 2016 : World economic forum, juillet 2016
Numérique au Sénégal, état des lieux et perspectives 2010-2016 : Romain Masson, juillet 2016

Auteurs de l'étude

Cédric Kalonji
Journaliste à radio Okapi et RFI mais aussi expert nouveaux médias, Cédric Kalonji est formateur et expert reconnu dans l'accompagnement des journalistes et des médias africains dans leur transition numérique.
Philippe Couve
Directeur de Samsa.fr, Philippe Couve est un ancien journaliste (RFI, Atelier des médias). Expert international dans le domaine de la transition numérique des médias et de l'entrepreneuriat éditorial, il travaille depuis dix ans à favoriser l'émergence d'une nouvelle génération de journalistes et blogueurs en Afrique.
Julien Le Bot
Journaliste et réalisateur spécialisé dans le développement éditorial et l'open data, Julien Le Bot travaille en qualité de consultant sur des projets d'innovation dans les médias et coordonne des programmes d'incubation pour des porteurs de projets dans les nouveaux médias.
Depuis septembre 2016, il anime L'Atelier des médias sur RFI.

Contributeurs
Bénin - Sinatou Saka
Burkina Faso - Justin Yarga
Côte d'Ivoire - Cyriac Gbogou
Ghana - Edward Amartey-Tagoe
Madagascar - Lalatiana Rahariniaina
RD Congo - Yves Zihindula
Sénégal - Lucrèce Gandigbe

Avec
Ange Kasongo
Mansour Abderahmane
et Marianne Rigaux

Télécharger la synthèse de l'étude (PDF)

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