"Ce jour-là, on a interrompu la session de formation : il y avait un coup d'État en direct"
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Désinfox Afrique"C’était ma huitième mission pour CFI à Ouaga. Le 24 janvier, la première matinée sur la "narration du fact-checking" a vite été chamboulée par l’histoire en live..."
Essayez donc d’appliquer un programme quand toute l’assistance a les yeux rivés sur le portable pour suivre les mutineries en cours, regarder les photos de voitures mitraillées, pister les manifs... Alors, très vite, l’un des participants, Ange Levi J. Meda a suggéré qu’on s’exerce sur l’actu. Et il a été le premier à produire un fast-checking sur une fausse revendication du coup d’État par un ancien président. Puis, presque toute la semaine, avec O.C. Omar et Amelie Gue on a traqué les fake news autour des évènements.
Vous savez quoi ? ça ne manquait pas. Et, heureusement, ici, on laisse les journalistes travailler pendant un coup d’État. On est au Burkina… Lors de mon premier voyage à Ouaga en mai 2015, Pierre-Yves Schneider mon ami et mon mentor, disparu il y a un an, et dont je ressens partout la présence ici, m’avait averti : Le Burkina, c'est le pays idéal pour ta première mission.
Ouaga venait de se débarrasser de Blaise Compaoré et le pays vibrait de projets et d’espoirs, la ville semblait en fête permanente. Les journalistes burkinabè qui n’avaient jamais baissé la tête pendant le régime autoritaire que la jeunesse venait de renverser, étaient pugnaces, curieux, toujours un peu querelleurs et moqueurs mais aussi, pendant les débats, d’une véritable maturité démocratique.
Les années suivantes, ce pays idéal, laïc, tolérant, bref intelligent, s’est peu à peu étiolé, essuyant une première tentative de coup d’État, subissant des attaques terroristes, supportant plus d’un million de réfugiés internes et semblant incapable de sortir d’une spirale de massacres. Ceci explique cela. Les jeunes qui s’étaient soulevés contre Compaoré sont cette fois-ci descendus dans la rue pour soutenir une junte coiffée des bérets rouges du capitaine Sankara.
Nous ne sommes pas à un paradoxe près. La première décision de la junte a été de rétablir l’internet mobile que le précédent régime, démocratiquement élu, avait coupé. Une aubaine pour les infos… mais aussi pour les infox…. et ceux qui les chassent !
Relativiser l’utilité du fact-checking devient tendance ces derniers temps. Quand on le pratique à chaud comme cette semaine à Ouaga pour freiner les pires bobards qui circulent sur Facebook ou WhatsApp, on ne se pose plus trop la question. On essaye plutôt de répliquer vite aux fake news par le fast-checking pour faire mentir la loi de Brandolini.
Bon, si tout va bien, ma prochaine intervention sur les infox sera à Bayonne avec Isabelle Martin. C’est l’autre pays des bérets rouges mais, cette fois-ci, on ne devrait pas interrompre la session pour aller regarder ceux qui en sont coiffés à la télé…
Témoignage d'Eric Le Braz, lors d'une formation de journalistes du projet Désinfox Afrique, qui accompagne les médias de six pays d'Afrique francophone pour consolider les connaissances de leurs journalistes en fact-checking.