Salissou Hassane Latifa : nigérienne et geek humaniste
Au Niger, rares sont les filles à faire des études supérieures, en particulier en sciences. Détentrice d'un master en génie logiciel, Salissou Hassane Latifa, 27 ans, a réussi à créer une start-up, une ONG et des outils modernes pour la santé et la sécurité de ses concitoyens et concitoyennes.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.
Vous avez le même cerveau que les hommes ! Ne vous mettez pas de barrières ! Ne vous laissez pas influencer ! Inlassablement, Salissou Hassane Latifa, 27 ans répète son message aux jeunes filles de son pays. Au Niger, selon l'Unicef, en 2019, seuls 2 élèves sur 10 terminent le cycle secondaire et 3 filles sur 4 sont mariées avant l'âge de 18 ans... Dans ce contexte, Latifa se dit chanceuse d'avoir grandi avec des parents qui ont été à l'école et même un père geek avant l'heure : Quand nous étions enfants, il a essayé de nous transmettre sa passion pour l'informatique en nous initiant à l'ordinateur.
Salissou Hassane Latifa apprécie, mais elle porte alors déjà en elle une autre vocation : Depuis que je suis toute petite, j'aime être utile aux autres. Safia Diawara, une cousine, raconte : Au collège, elle nous réconciliait quand on se disputait entre camarades. Elle était le genre d'élèves de confiance que les enseignants n'oublient pas, avec un profil de leader. En famille, Latifa a toujours réussi à réunir tout le monde, même les membres les plus éloignés.
Sociable, elle pense faire carrière dans l'humanitaire et devenir médecin, mais influencée par sa famille, Salissou Hassane Latifa se tourne vers les technologies d'avenir et obtient à l'École supérieure des télécommunications (EST) de Niamey une licence et un master en génie logiciel. Déterminée à concilier formation et vocation, elle crée l'application Saro (Sécurité, en haoussa) pour localiser et faciliter le sauvetage des victimes d'accidents de la route.
Lauréate du concours national e-Takara 2017 pour les jeunes talents du numérique, elle obtient au Rwanda le titre de Miss Geek Africa 2018, concours annuel récompensant les innovations technologiques de jeunes Africains : Ces récompenses ont été un déclic pour moi. Je me suis dit qu'il n'y avait pas de limites à ce qu'on veut atteindre !
Aux avant-postes contre la Covid-19
Motivée à bloc, Latifa multiplie depuis les initiatives. Co-fondatrice et chargée à l'innovation et à la transformation digitale de la start-up InnovElle, créée en 2018, elle est aussi la directrice exécutive bénévole de l'ONG Hope Sahel. Fondée fin 2019 pour promouvoir l'employabilité des jeunes et lutter contre les inégalités envers les filles, la structure aux six salariés et aux plus de 100 volontaires, a monté en 2020 un projet de lutte contre la Covid-19 soutenu par CFI, dans le cadre du projet MédiaSahel : Nous rencontrons les autorités locales et proposons des causeries avec les jeunes et des émissions dans les radios communautaires de Diffa (au sud-est du Niger, à la frontière avec le Nigéria, Ndlr). Dans cette région, les gens étaient doublement confinés en raison de l'insécurité et du manque d'informations sur le virus, précise la directrice exécutive.
Mieux informés, les jeunes seraient aujourd'hui plus respectueux des mesures sanitaires. Comme chef, Latifa a réussi à emporter l'adhésion de tous ! souligne Bachir Idrissa Moussa, secrétaire exécutif d'Hope Sahel. Résolument engagée dans la lutte contre le virus, Salissou Hassane Latifa a aussi participé en 2020 comme coach au Coronackathon, compétition 100 % en ligne, ouverte à tous les jeunes Nigériens et à leurs solutions innovantes pour combattre le virus : Elle leur a partagé son expérience de gestion de projets. Ces jeunes connaissaient Latifa, elle est un modèle pour eux, observe Almoctar Seyni Moussa, un ami geek et co-organisateur de ce concours.
De quoi donner d'autres idées à la geek humaniste Salissou Hassane Latifa : J'aimerais mettre en place une communauté “Girls in ICT Niger” pour que les filles geeks se retrouvent entre elles, avec des professionnelles pour leur servir de modèles pour les guider et en impliquant aussi les hommes volontaires.
Dans 10 ans…
Selon ses proches, Salissou Hassane Latifa est multi-tâches et multi-idées. Une tendance qui devrait croître et embellir à l'avenir... Elle aura sans doute développé plusieurs applications sociales et environnementales pour lutter par exemple contre la désertification. Elle sera devenue une des femmes les plus influentes du Niger ! avance sa cousine Safia Diawara.
Almoctar Seyni Moussa, un ami geek, précise : Dans 10 ans, je la vois dirigeante d'une entreprise du numérique ou directrice d'un service de développement numérique pour une société. Bachir Idrissa Moussa, secrétaire exécutif d'Hope Sahel, ne la voit pourtant pas quitter totalement leur ONG : Latifa pourrait travailler aux Nations unies dans le secteur éducatif, mais sans en être employée, car elle veut amener Hope Sahel le plus haut possible.
Salissou Hassane Latifa, la directrice exécutive, confirme : Dans 10 ans, j'espère que notre ONG travaillera partout en Afrique sur l'emploi des jeunes et la lutte contre les inégalités entre filles et garçons. Mon plus grand rêve serait que les Nations unies soient partenaires d'Hope Sahel pour avoir plus d'impact.
Tout en gardant un pied en dehors du système pour préserver son indépendance et ses idées.