Qassim Khidhir : "Les journalistes d’Irak sont des personnes passionnées et très résilientes"
Journaliste au "Kurdistan Chronicle", Qassim Khidhir est depuis près de 20 ans passionné par ce métier si difficile à exercer en Irak. Lui qui affirme être arrivé « par chance » dans le journalisme, revient sur son parcours et les défis à relever par les reporters de son pays. Propos recueillis par Emmanuel de Solère Stintzy.
Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le développement des médias ?
A vrai dire, je n'avais pas vraiment planifié cela. J'étais un étudiant irakien et beaucoup de journalistes étrangers venaient dans mon université nous interroger sur la possibilité pour les USA d'envahir l'Irak. J'ai travaillé avec certains d'entre eux comme fixeur et je suis aussi devenu proche de plusieurs acteurs du développement des médias.
Sous Saddam (Hussein, chef de l'État de 1979 à 2003, chassé du pouvoir lors de l'offensive américano-britannique contre l'Irak, Ndlr), nous n'avions pas le choix. Je détestais alors notre télévision nationale qui ne parlait que de lui ! Après sa chute, les journalistes pouvaient écrire sur tous les sujets. Avoir le choix est si important... Contrairement à une idée assez répandue en Irak, nous ne pouvons pas juste dire : "Incha'Allah, voyons ce que le futur nous réserve." Nous devons faire remonter à la surface nos problèmes sociaux, politiques et économiques.
Quels sont, selon vous, les apports du projet Qarib pour les médias irakiens ?
Qarib est différent des autres projets médias pour lesquels j'ai travaillé avant, où tout était tracé à l'avance : seul un petit nombre de médias irakiens, toujours les mêmes, devaient juste appliquer ce qu'on leur disait... Avec CFI, nous avons visité beaucoup de médias dans tout le pays. Ceux-ci n'avaient reçu aucun argent jusque-là, mais ont beaucoup d'impacts localement. Avec eux, nous avons parlé des sujets qu'ils voulaient traiter, de leurs problèmes et de leurs besoins. Qarib apporte aux dix-huit médias indépendants sélectionnés de l'oxygène. Ces médias sont en effet en train de mourir, car ils n'ont en général pas accès aux informations, pas d’argent et pas de sécurité pour réaliser leur travail.
En tant que coordinateur pour l'Irak, je vais organiser les prochaines activités, notamment encourager les médias à envoyer leurs productions dans le cadre d'un prix que nous allons lancer. Je vais aussi vérifier que le contenu éditorial des médias sélectionnés reste professionnel, équilibré, respectueux des minorités, conformément à leurs engagements.
À votre avis, à quels défis les personnes qui exercent le journalisme en Irak sont-elles confrontées aujourd’hui ?
Certaines sont assassinées, menacées... Les journalistes d’Irak ont beaucoup de difficultés, mais, passionnés, ils ont le journalisme dans le sang et sont très résilients. Le plus grand défi est d'appliquer la Constitution et les lois qui sont bonnes sur le papier et peuvent les protéger. Mais il y a aussi beaucoup de forces et de milices qui deviennent comme des « États » avec leurs propres lois, leurs propres drapeaux... C'est très dur pour les journalistes de travailler avec ces groupes.
Si je devais donner un conseil à mes collègues, je leur dirais : "Si vous décidez d'être journalistes, travaillez dur et soyez passionnés. Vous obtiendrez ainsi tout ce que vous voudrez ! Mais, restez uniquement journalistes professionnels, pas activistes ! En Irak, quand on mélange les deux, on se perd."