Mehdi Cherif : science sans conscience...
Brillant étudiant, Mehdi Cherif, 25 ans, a choisi de partager ses connaissances et de vulgariser les sciences. Son projet Fahmologia ("science de la compréhension") a permis de créer six clubs dans six établissements universitaires différents de Tunis et de produire une trentaine de vidéos.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Cette citation de l'écrivain français François Rebelais semble aller comme un gant à Mehdi Cherif, co-fondateur et coordinateur en Tunisie du projet Fahmologia, soutenu par le programme Safir.
Au départ, nous voulions créer un média spécialisé dans la communication des sciences, mais ce n'était pas gérable sans argent... Comme j'avais travaillé avant avec des réseaux de la société civile, je me suis dit pourquoi pas créer un réseau de clubs ? Aujourd'hui, six clubs existent dans six établissements universitaires différents de Tunis et comptent au total environ 100 membres. Nous avons formé 24 étudiants et étudiantes, membres dirigeants des clubs, à la gestion de projets et à la production de contenus sur toutes les sciences (naturelles, humaines et sociales, etc.) qu'ils étudient, explique méthodiquement Mehdi, le menton appuyé sur une main, comme le Penseur de Rodin.
Mais, comment est né ce projet ?
Au risque de replonger notre intellectuel dans la réflexion, posons tout de même la question... En France, comme je décrochais de mes études de droit, je me baladais en écoutant dans mon casque des podcasts de France Culture. Je me suis dit que ce serait aussi utile pour les Tunisiens de comprendre les sciences, répond Mehdi Cherif. Mais, détrompez-vous, notre amateur de podcasts est tout sauf un cancre...
"Notre bien national va servir la Tunisie !"
Amel Bouaziz Cherif, sa grand-mère, est intarissable sur son petit-fils, qui vit avec elle depuis huit ans : Il a toujours été premier de la classe ! Il aimait lire seul, rester dans son univers. Après avoir obtenu son bac scientifique avec mention très bien, il aurait pu aller dans n'importe quelle université à l'étranger, mais actuellement il passe ses diplômes en Tunisie (licence fondamentale en sociologie en poche et master de recherche en sociologie en cours à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis - FSHST, Ndlr). Mehdi, c'est notre bien national, il va servir la Tunisie !
Même si son CV mentionne qu'il a, à chacune de ses étapes, été "major de promotion" et qu'il a en plus décroché une licence de psychologie sociale grâce à un cursus en ligne (The Open University Milton Keynes, Royaume-Uni), Mehdi Cherif réagit en futur sociologue et relativise : Mon père diplomate et ma mère diplômée en gestion étaient conscients de l'importance de l'éducation. J'ai la chance de bien comprendre les choses, d'être en bonne santé, dans un environnement confortable. Mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père ont été serviteurs de l'État, j'essaie de pas trahir la lignée et d'œuvrer moi aussi pour mon pays.
À vingt ans à peine, Mehdi a ainsi écrit deux essais (Réflexions d'un élève insoumis et Ils sont parmi nous : GERM et éducation en Tunisie, sur la réforme de l'éducation tunisienne). Coordinatrice de Fahmologia à la FSHST, Nour Maaoui témoigne : Quand j'ai rencontré Mehdi il y a cinq ans, il avait déjà une vision ambitieuse pour améliorer le système éducatif tunisien. J'ai donc rejoint son équipe et appris à produire des contenus médiatiques. Nous essayons de faire connaître notre projet aux médias et sur les réseaux sociaux, pour toucher un public plus large.
La page Facebook de Fahmologia est ainsi suivie par plus de 6 000 personnes qui ont accès à la trentaine de vidéos produites par les étudiants et étudiantes sur des thèmes variés (changement climatique, répartition mondiale de l'eau, finance internationale, etc.).
Ailleurs en Afrique ?
Durant l’accompagnement de Safir, Mehdi Cherif a apprécié plusieurs apports de CFI : Son expertise des médias, l'accompagnement dans la gestion administrative et financière. Les rencontres internationales nous ont aussi énormément aidés, car notre ambition est d'étendre notre modèle de clubs étudiants dans d'autres pays Afrique.
Une ambition dans laquelle s'est naturellement retrouvé dès le départ Youssef Tlili, co-fondateur de Fahmologia et président de la Fondation Ahmed Tlili pour la culture démocratique, structure porteuse du projet : Fahmologia facilite l'accès aux savoirs du grand public. Demain, les étudiants formés seront appelés à offrir du soutien aux plus jeunes. Les clubs ont développé cette culture du partage et de la solidarité : tout le monde apprend de tout le monde, avec une volonté commune d'être utile à leur société.
Demain justement, Mehdi Cherif espère rentabiliser le studio de tournage des contenus scientifiques et mettre en place "une gouvernance démocratique". Objectif : inscrire Fahmologia dans la durée. Il passera alors le flambeau à des plus jeunes et retournera à ses chères études pour terminer de rédiger son mémoire.
Dans dix ans
Que sera devenu Fahmologia dans dix ans ? Passionné de communication scientifique, Mehdi Cherif espère que les sciences seront davantage présentes dans les médias et sur les réseaux sociaux tunisiens. Un de ses rêves : tomber par hasard sur un contenu produit par des étudiants de Fahmologia !
Et Mehdi lui-même, que fera-t-il dans quelques années ? Le co-fondateur de Fahmologia, Youssef Tlili, pronostique : Mehdi pourrait rester une personne ressources pour Fahmologia, mais il sera peut-être un enseignant universitaire ou une personnalité publique active et utile pour la société.
Amel Bouaziz Cherif, sa grand-mère, semble du même avis : On dirait que Mehdi s'est donné une mission ! Il va certainement évoluer vers un doctorat et continuera dans l'associatif. Et peut-être bien faire de la politique : je connais ses idées contre les inégalités et la corruption qui ruinent notre pays...
Le principal intéressé répond sagement : Je vais d'abord finir mon mémoire, puis écrire ma thèse. J'ai envie d'écrire sur la méritocratie. La politique ? Ça dépendra du contexte, de pas mal de choses, mais pourquoi pas ?
Presque une réponse de politicien, déjà...