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Houleye Kane : à cœur vaillant, rien d'impossible

Projet associé

Journaliste-activiste engagée pour les jeunes, en particulier les femmes, Houleye Kane, 39 ans, est une battante qui parle et agit avec son cœur. Grâce à elle, d'autres femmes commencent à oser aller en reportage sur le terrain en Mauritanie et à dénoncer violences et injustices.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.

 

Le cœur qui parle. Redoutable et formidable. Quand elle lève la main pour intervenir 5mn avant la fin d'une session, tout formateur qui connaît Houleye Kane est tenaillé entre crainte de ne pas pouvoir l'interrompre et plaisir de l'entendre à nouveau tenir son langage passionné de vérité. Mais, elle n'a pas toujours été ainsi... Enfant, Houleye était timide. Parmi les meilleures élèves de sa classe, elle partait à l'école et revenait, sans fréquenter beaucoup de gens. Elle aimait dessiner, chanter, mais surtout lire les BD, se rappelle Selly Kane, sa grande sœur.

Houleye nuance : Quand je sortais de ma zone de confort, j'aimais beaucoup qu'on me prenne en photo ou en vidéo. À la maison, j'essayais d'imiter les présentateurs des journaux sénégalais. Dans ma famille, certains me disaient : ‘‘Toi tu vas être une grande journaliste !’’ 
Après son bac littéraire, sa mère protectrice refuse pourtant de la laisser partir en France et l'inscrit plutôt tout près d'elle, en droit des entreprises à l'Université Dakar Bourguiba au Sénégal voisin... Mais, rien n'y fait... Après trois ans d'études supérieures peu épanouissantes, Houleye Kane commence à réaliser son rêve : Je travaillais dans l'agence de Dia Cheikh Tidiane, mon ancien professeur de français, directeur du quotidien Le Rénovateur. Quand mon premier article sur la drogue dans les écoles a été publié et repris par certains sites Internet, j'étais tellement heureuse que j'ai amené des journaux à ma famille. Tout le monde était content, surtout en 2012 quand j'ai commencé à passer à Sahel TV !

Femme-journaliste : un combat quotidien

Nommée en 2021 cheffe de division audiovisuelle à l'Institut national des arts, Houleye coordonne les projets, assiste le service cinéma et accompagne les programmes de formation en production audiovisuelle. Mais, être femme-journaliste reste un combat quotidien en République islamique de Mauritanie...

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Moussa Ely Cheikh Traoré, alias "Moussa VFC PROD", qui réalise des reportages depuis 2016 avec Houleye, témoigne : Femme battante, sur le terrain, elle ne laisse rien passer ! On se dispute deux ou trois fois à chaque tournage, puis on redevient amis. Mais Houleye reste toujours concentrée sur son objectif, même quand nous sommes agressés verbalement dans la rue. À Nouakchott, beaucoup de Mauritaniens n'aiment pas qu'une femme se mette sur le devant de la scène. Ils voudraient qu'elle reste à la maison à faire la cuisine…

Dans ces cas-là, Houleye Kane réagit du tac au tac : Je leur réponds que femmes ou hommes, tout le monde peut être journaliste ! Cette allergie aux injustices et violences faites aux femmes a pour premier déclic, selon elle, le fait d'avoir grandi dans une famille polygame dans laquelle sa maman s'occupait de tout ou presque : Je me rappelle comme si c'était hier quand elle cumulait son travail de fonctionnaire et des petits commerces. Je l'accompagnais au port de Nouadhibou (ouest de la Mauritanie, Ndlr) vendre des arachides grillées et de la bouillie de mil.…
Les années suivantes, Houleye continuera d'être confrontée à différentes formes de violences. D'où une double vocation de journaliste-activiste : Je me suis dit qu'être journaliste ne suffisait pas. Je voulais être la porte-voix des femmes, partager leurs histoires, leurs souffrances, parfois même accompagner les victimes en justice.
Aujourd'hui, Houleye Kane coordonne un réseau d'une trentaine de journalistes de Mauritanie contre les violences faites aux femmes et aux filles dans le but également de mettre en valeur les initiatives et l'autonomisation des femmes dans différentes régions, grâce à des productions journalistiques innovantes. Autre projet : une cellule de veille médiatique pour parler des électrices et des candidates (cf. présidentielle prévue en juin 2024).

Femme battante, sur le terrain, elle ne laisse rien passer !
Moussa Ely Cheikh Traoré,
réalisateur et producteur à VFC production

Beaucoup d'admiration

Une constance dans ses engagements qui lui valut plusieurs nominations parmi les : 100 femmes qui peuvent changer le monde (journal La Repubblica, Italie, 2019), personnalités les plus influentes en Afrique de l’Ouest (Influences Magazine, Sénégal, 2018), Mauritaniennes d’exception (Jeune chambre de commerce, Mauritanie, 2015)...
Houleye Kane n'est pas n'importe qui en Mauritanie ! Dans tous les médias où nous sommes allés ensemble, elle a été accueillie avec beaucoup d'admiration. Elle est toujours disponible et généreuse envers les autres, résume David Solon, coach avec elle sur le projet Afri'Kibaaru.

Houleye observe d'ailleurs des avancées dans les médias accompagnés : Au début du projet, plusieurs femmes manquaient de confiance en elles et n'osaient pas aller sur le terrain. Aujourd'hui, certaines ne sont plus seulement derrière leurs ordinateurs. Elles filment discrètement avec leurs téléphones et veulent devenir journalistes reporters d'images (JRI) !
Avec Houleye Kane, la devise de Jacques Cœur se vérifie en Mauritanie : À cœur vaillant, rien d'impossible !

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Dans 10 ans...

Rester aux côtés des jeunes mauritaniens. Dans dix ans, Houleye Kane ne se voit pas, a priori, changer de cap professionnel : Nous avons créé en 2023 La Loupe pour qu'ils racontent leurs histoires et en inspirent d'autres. À travers cette plate-forme sur Facebook et TikTok qui pourrait devenir un média dans quelques années, nous voulons montrer comment ces jeunes sont résilients. Commencer par les écouter pourrait contribuer à lutter contre l'immigration clandestine.
Co-concepteur de ce projet, Moussa Ely Cheikh Traoré est résolument optimiste : Je ne vois pas ce qui pourra arrêter cette femme battante ! Houleye donne du courage aux jeunes, en particulier aux femmes de devenir journalistes. La Mauritanie aurait besoin de cinq personnes comme elle !

Pas évident, même pour une active activiste de se démultiplier... David Solon, coach avec elle sur le projet Afri'Kibaaru, pourtant y croit : Houleye n'a pas fini de déployer son envergure ! Elle a un côté un peu ‘‘Shiva’’, avec ses multiples bras, elle peut faire plein de trucs à la fois et sera sensible et attentive à tout le monde. Mais, je la vois plutôt cheffe de projets pour la société mauritanienne et les femmes en particulier.
Même pronostic ou presque du côté de Selly Kane, sa grande sœur : Dans dix ans, Houleye sera à un haut niveau dans le journalisme, mais elle continuera à aider des gens, surtout les femmes.
L'intéressée dit vouloir lier ses deux combats : Tant que nous n'avons pas de loi spécifique appliquée sur les violences basées sur le genre (VBG), les journalistes, hommes et femmes confondus, doivent continuer à s'engager. Peut-être qu'ensuite seulement, j'arrêterais mon militantisme pour me consacrer davantage à des enquêtes journalistiques.

La Mauritanie aurait besoin de cinq personnes comme elle !
Moussa Ely Cheikh Traoré,
réalisateur et producteur à VFC production