Grâce Ngbaléo, "Femme accroche-toi !"
Journaliste engagée pour la défense des droits des femmes, Grâce Ngbaléo, 31 ans, est aujourd'hui un exemple de détermination pour d'autres Centrafricaines. Formatrice sur les enjeux du numérique, elle encourage les filles à se tourner vers ces métiers d'avenir et à ne pas se laisser intimider.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.
Un caractère prédestiné ? Quand j'étais enfant, mes parents racontent que je parlais beaucoup, comme une radio ! s'amuse la journaliste centrafricaine Grâce Ngbaléo. Adolescente, elle ne semble pas avoir beaucoup changé : En terminale, je suivais à la radio les infos et les émissions sur les femmes. J'entendais que notre place n'était pas à la maison, mais à l'école. Cela m'a convaincue de la nécessité de passer par les médias pour défendre la cause des femmes.
Marie Danielle Ngbaléo Opito, sa petite sœur, ne cache pas son admiration : "Yagra" a toujours été une grande sœur aimante et protectrice. Elle était brillante à l'école. Aujourd'hui, elle est toujours engagée pour l'épanouissement des femmes. C'est rare quelqu'un qui pense autant aux autres ! Douée pour les études, Grâce obtient à l'Université de Bangui une maîtrise en philosophie : C'était un challenge, car on minimisait les femmes dans cette filière, précise l'intéressée. Suivra une licence en information et communication : Mes parents voulaient que je fasse du droit, mais ils ont respecté mon choix. Aujourd'hui, mon papa ne cesse de dire aux autres de prendre exemple sur moi !
Prince Stivene Namzoka, un collègue journaliste, se souvient de Grâce étudiante : Elle était courageuse et bosseuse. C'est une des rares filles de notre promo qui est ensuite allée loin dans sa carrière de journaliste.
Les diplômes ne font pas changer de cap Grâce Ngbaléo. Animatrice à Radio Notre Dame (RND) pendant ses études, elle deviendra rédactrice en cheffe de cette station, puis "un nouveau challenge" s'offre à elle : se former au fact-checking : Nous sommes à l'ère du numérique, c'est là qu'on se fait entendre au-delà des frontières de la RCA. Et puis, dans notre pays, il y a beaucoup de rumeurs et de désinformation. Le journalisme classique est en péril. Aujourd'hui, j'ai du recul, je vérifie d'abord l'info avec les outils qu'on m'a appris avant de liker ou partager.
Réaliser les mêmes choses que les hommes
Grâce est depuis devenue elle-même formatrice : Lors d'une formation de formateurs de CFI à Dakar, on m'a demandé de préparer et d'animer une session. C'était la première fois que je me mettais dans cette peau. Aujourd'hui, je suis dans le bain, dit-elle en regardant son fiancé. Ce dernier précise en lui souriant également : Je l'encourage dans ses activités, même si certains hommes ne veulent pas que les femmes aillent de l'avant. Je demande à ces hommes d'évoluer, car le monde change !
Grâce Ngbaléo, elle, n'a pas changé : Je suis dans la plateforme I Londo Awè ! ("Nous sommes debout") pour la défense des droits des femmes, la promotion de leur leadership, leur implication dans le processus de paix. Nous menons des campagnes de plaidoyer pour qu'elles accèdent à des postes de prise de décisions et pour le respect de la loi sur la parité. Rosalie Kobo-Beth, coordinatrice et porte-parole de cette même plateforme, témoigne : Grâce est une jeune femme battante qui aime la franchise. Elle s'énerve parfois rapidement quand elle n'est pas écoutée...
La remarque fait sourire la concernée : Je fais parfois un peu peur aux hommes, car je n'aime pas le désordre ! Aux filles, je conseille de travailler, d'aimer ce qu'elles font et de se dire qu'elles peuvent réaliser les mêmes choses que les hommes. Mais, pour cela, elles doivent être déterminées et ne pas se laisser intimider. Le résultat viendra.
Les premiers impacts sont déjà là. Désireuses de suivre la voie de Grâce Ngbaléo, d'autres femmes commencent à s'engager dans le journalisme numérique : Une petite dizaine se forme au fact-checking et plusieurs autres sont actives en ligne sur leurs blogs et sur les réseaux sociaux. J'en suis fière, la relève est en train d'être assurée. J'encourage les autres filles, car parfois elles en ont les capacités, mais n'osent pas se lancer.
Dans 10 ans...
Selon Marie Danielle, le meilleur est à venir pour sa grande sœur, Grâce Ngbaléo : Dans dix ans, Grâce sera une journaliste internationale. Elle apportera des changements dans le quotidien des femmes. Ces dernières se sentiront importantes, deviendront davantage entreprenantes et se diront qu'elles peuvent se défendre elles-mêmes, face aux viols notamment.
Prince Stivene Namzoka, un collègue journaliste, est lui aussi optimiste : Je l'imagine à la tête d'une institution de défense des droits humains ou dans un grand média comme Le Figaro ou RFI. Rosalie Kobo-Beth, une amie, n'imagine pas Grâce échouer : Sauf si la Nature en décide autrement, elle qui ne s'avoue jamais vaincue deviendra une grande dame en Centrafrique. Qui sait, peut-être s'installera-t-elle à son propre compte ?
Ce projet semble déjà en préparation... J'aimerais lancer une entreprise avec un centre de formation des journalistes, en particulier des femmes, au numérique et une WebTV pour les inviter à venir parler de leurs activités en langues locales. Cette entreprise s'appellera "Fato" pour "Femme accroche-toi !", car plusieurs d'entre elles s'engagent et se désengagent, précise Grâce Ngbaléo, plus que jamais motivée par ce nouveau challenge.