Ghislaine Deudjui : les chiffres parlent d'eux-mêmes
Ghislaine Deudjui, journaliste camerounaise de 31 ans, s'est spécialisée dans l'info économique, la santé et les datas. Dans la capitale économique Douala bouillonnante d'énergie, elle met en lumière de jeunes entrepreneurs qui lui ressemblent.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.
Petite fille, Ghislaine Deudjui était déjà pleine de vie, d'activités et de challenges variés. Je jouais peu à la poupée. Je préférais rester avec les garçons, car ils étaient plus ouverts à d'autres jeux et, comme moi, ils aimaient la concurrence !
Avec les années, un intérêt commence à se développer : Papa achetait Jeune Afrique éco. Je regardais les images de ce magazine. Au collège, je me suis inscrite au club journal. J'aimais la liberté du journaliste : écouter, communiquer, connaître les personnes en face de moi. Sa famille n'est donc pas vraiment surprise par son choix de carrière. On pensait que Ghislaine allait devenir avocate, car elle disait aux gens leurs quatre vérités, mais elle aime bien parler et est ouverte d'esprit. Donc, elle a aussi bien fait de devenir journaliste ! résume Christelle Nzitcha Digona, sa petite sœur.
Après un BTS option journalisme, une deuxième vocation se dessine. Ghislaine Deudjui obtient une licence en communication-marketing, puis un master 1 en marketing et communication des organisations : Je voulais une autre corde à mon arc pour mieux savoir gérer une entreprise dans le futur. En 2013, elle franchit les portes du Quotidien de l'économie. Christelle Kouetcha qui y était journaliste à l'époque, s'en souvient comme si c'était hier : Toute jeune, Ghislaine est venue me chercher à ma rédaction. Elle voulait connaître le métier. Aujourd'hui, elle veut toujours innover, connaître les nouvelles technologies dans son domaine.
Enquêtes collaboratives avec datas
À la suite de cette première expérience, Ghislaine poursuit sur sa lancée depuis 2017 avec Le Financier d'Afrique. Jean Pépin Ndjo, journaliste lui aussi dans ce bihebdomadaire, ne tarit pas d'éloges pour celle qui était déjà sa collègue au Quotidien de l'économie : Elle sait demander conseil et écouter, deux qualités précieuses dans notre environnement où tout le monde dit tout connaître... Aujourd'hui, elle joue un rôle central dans notre journal, comme cheffe du bureau de Douala. La tâche y est ardue, c'est la capitale économique.
Au plus près des débrouillards de Douala, Ghislaine Deudjui semble être dans son élément : C'est important de parler de notre situation économique précaire et des jeunes entrepreneurs très actifs du secteur informel.
Dans les prochaines semaines, Ghislaine aimerait refaire complètement son blog pour mettre en avant ces start-up et activités innovantes des jeunes. Elle est aussi persuadée de l'intérêt des datas : Il faut des chiffres pour mieux présenter les données au public. Grâce à CFI (projet MédiaLab pour Elles, Ndlr), avec des confrères de médias aux lignes éditoriales différentes, nous avons publié une enquête collaborative avec des datas. Ces enquêtes sont moins coûteuses à plusieurs et plus difficiles à contester. Je continue à en mener avec des consœurs d'autres pays sur des sujets transfrontaliers comme la corruption.
Une case avec un serpent venimeux !
Un sujet qui lui tient à cœur depuis 20 ans : J'ai perdu une petite sœur car le corps médical avait refusé de la prendre en charge comme nous n'avions pas apporté d'argent... J'avais 11 ans... Cette histoire m'a fait détester les hôpitaux ! Détester les hôpitaux, mais pas les sujets santé. Elle collabore depuis 2017 au magazine Échos santé.
Ghislaine est méthodique et exigeante avec elle-même. Elle a su s'adapter aux questions de santé. Aujourd'hui, certains partenaires exigent que ce soit elle qui écrive, car ils apprécient sa plume, se félicite Joseph Mbeng Boum, PDG du groupe Échos santé.
Pourtant, pas sûr que Ghislaine Deudjui poursuive encore longtemps son travail dans la presse : Entrer dans le journalisme, c'est entrer dans une case avec un serpent venimeux ! Comme femme, il faut avoir un mental d'acier pour affronter le harcèlement sexuel et savoir être imposante, témoigne-t-elle d'une voix forte. Un combat usant dans un milieu médiatique souvent aussi entaché par la corruption et les compromissions. Ghislaine se souvient ainsi d'un grand frère dans la presse qui a basculé vers la politique pour évoluer. Pour cette entrepreneuse dans l'âme, si changement de cap il y a, ce ne sera pas celui-là !
Dans 10 ans...
Ghislaine Deudjui l'admet sans détour. Pas sûr qu'elle soit encore dans l'univers des médias dans 10 ans : Je me vois davantage dans l'entreprenariat. Je suis très intéressée par l'agriculture. La terre ne ment pas et est plus rentable. Il faut aussi penser à ses enfants...
Certaines de ses connaissances ne la voient pourtant pas quitter complètement le métier. Elle proposera peut-être des contenus longs formats, car elle est aussi dans le documentaire et l'audio-visuel, pronostique Joseph Mbeng Boum. Devenue responsable communication, l'ex-journaliste Christelle Kouetcha développe la même idée ou presque :
Je vois Ghislaine rédactrice en chef d'un magazine international. Elle pourrait y associer ses connaissances du cinéma et de l'audiovisuel. Ou alors, elle pourrait devenir responsable communication d'une webTV ou d'un blog spécialisé avec des contenus vidéos. Elle doit cependant auparavant se recentrer et travailler ses objectifs.
Ghislaine Deudjui ne semble pas insensible à ces prédictions : Je pourrais peut-être me lancer dans les documentaires, mais ce n'est pas encore clair... Je crois aussi que notre projet éditorial "Open data pour Elles" (actuellement une cinquantaine de membres dans plusieurs pays, Ndlr) aura pris de l'ampleur. Venue au journalisme par les chiffres, Ghislaine y restera-t-elle grâce à ces mêmes chiffres