Boubacar Kanté : journaliste éclairé de l'ombre

Boubacar Kanté : journaliste éclairé de l'ombre

Projet associé

À 48 ans, Boubacar Kanté, philosophe de formation, a toujours la même soif d'apprendre et de partager. Journaliste à l'Agence de presse sénégalaise depuis plus de vingt ans, il est modestement "redevenu étudiant" pour apprendre le fact-checking.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.

BK. Des initiales pour modeste signature comme n'importe quel agencier. Un relatif anonymat qui convient bien à Boubacar Kanté, 48 ans, journaliste à l'Agence de presse sénégalaise (APS) depuis 2002. « Je ne veux pas trop de lumière. Certains pensaient même que c'était impossible pour moi de devenir journaliste, car je ne me mets jamais en avant. Et puis, j'ai une diction exécrable... explique-t-il bien distinctement, mais toujours un peu complexé.

Réservé à l'oral, BK semble, en revanche, avoir presque les facilités des philosophes des Lumières à l'écrit... Il est très cultivé. Sa rigueur et sa maîtrise de la langue sont quasi-parfaites. Ses textes sortent presque toujours du lot, observe Amadou Samba Gaye, son directeur de l'information et des contenus à l'APS. Un goût pour les lettres qui ne date pas d'hier... Enfant, Boubacar Kanté aimait déjà lire les livres sans forcément les comprendre.
Il se souvient encore de la lettre qu'il avait écrite à l'école primaire à un oncle. Ce dernier était persuadé que l'enfant avait été aidé, tant les phrases étaient bien formulées... Par contre, côté sciences, les résultats étaient moins brillants : Au bac, j'ai eu 01/20 en maths ! On m'a grondé, car cela m'a empêché d'obtenir une mention.

Au bac, j'ai eu 01/20 en maths !

Belle plume, idées profondes

Homme de lettres et de réflexion, il poursuit ensuite pendant cinq ans des études de philosophie, et obtient une licence (option philosophie moderne et contemporaine) et un certificat de maîtrise. Une orientation qu'il doit au départ en partie à un de ses enseignants de Tambacounda, sa région d'origine, à l'est du Sénégal : Ces études extraordinaires nous permettaient d'argumenter sur les sujets les plus improbables ou les plus tabous. Et elles nous apprenaient à accepter les argumentaires des autres. Faute de soutien financier, Boubacar s'oriente finalement vers le journalisme, un cousin proche de la philosophie selon lui : Je me suis dit que ces deux disciplines étaient une tentative d'expliquer le monde...
Diamé Signaté, un ami d'enfance, n'a pas été surpris par cette réorientation : À l'université, il achetait des journaux comme Jeune Afrique ou Le Monde. Il me parlait de la noblesse du métier de journaliste. Encore aujourd'hui, il a une belle plume avec des idées profondes.

Il me parlait de la noblesse du métier de journaliste
Diamé Signaté

À peine son diplôme supérieur en journalisme du Centre d'études des sciences et techniques de l'information (CESTI) en poche, il est aussitôt recruté à l'APS. Depuis 2002, il y a encadré pas mal de stagiaires, comme Elhadji Souleymane Faye, devenu à présent son collègue : Il a toujours le temps pour vous apprendre quelque chose. C'est un infatigable journaliste !
BK a aussi été le premier mentor de VO, Valdez Onanina, devenu rédacteur en chef du bureau francophone d'Africa Check, journaliste et formateur pour CFI : Il m'a accueilli à l'APS en 2014. Parmi les bénéficiaires du projet au Sénégal, Boubacar est l’un des plus expérimentés. D'habitude, le fact-checking intéresse plutôt les jeunes, mais animé par sa soif d'apprendre et de partager, BK’est l’un des plus enthousiastes et des plus impliqués.

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Boubacar Kanté aime partager sa passion pour le journalisme et l'écriture.
Boubacar Kanté aime partager sa passion pour le journalisme et l'écriture.

Humilité

Accepter d'apprendre de son ancien stagiaire ? Pas un problème pour Boubacar Kanté : Le fact-checking m'aide à remettre en cause ce que je fais depuis des années. Il faut avoir l'humilité de redevenir étudiant pour repartir avec de nouveaux outils. Le fact-checking permet aussi de rester sur les faits, de recouper les informations et d'expliquer. À l'APS, ils sont désormais quatre à tenter d'alimenter une rubrique dédiée, malgré les problèmes récurrents d'accès aux informations. Amadou Samba Gaye apprécie : Depuis qu'il suit ces formations de fact-checking, Boubacar attire notre attention sur certains chiffres et sources à vérifier et sur des infos à publier ou pas.

Une certitude : en charge du service fact-checking et du magazine de l'APS, BK aime toujours autant partager son amour du journalisme et de l'écriture. Quand je relis le papier d'un collègue, je l'encadre pour qu'il donne son maximum. Je prends ses problèmes d'écriture comme une équation à résoudre, philosophe l'homme de lettres, finalement pas si hostile aux maths...

Dans 10 ans...

Pour son collègue Elhadji Souleymane Faye, pas de doute possible, dans dix ans, Boubacar Kanté occupera d'importantes fonctions ou, comme le journalisme mène à tout, se retrouvera dans la communication ou les relations publiques. Un dernier pronostic que ne partage pas Diamé Signaté, ami d'enfance de BK : Je le vois plutôt devenir directeur d'un journal ou de l'Agence de presse sénégalaise (APS). Il connait bien cette maison et pourrait partager ses connaissances avec les plus jeunes. Son supérieur hiérarchique, Amadou Samba Gaye, directeur de l'information et des contenus de l'APS, semble du même avis : Boubacar est un journaliste complet et accompli, il pourrait diriger l'APS ou un autre média.
Valdez Onanina, VO, un ancien de la maison, abonde dans le même sens : Dans dix ans, Boubacar pourrait être à la tête de l'APS et redorer le blason de cette agence. Fondamentalement journaliste, il comprend les enjeux de notre métier.

J'aimerais laisser des livres

Habitué à rester dans l'ombre, BK dépersonnalise : S'il en a l'occasion, chacun voudrait faire valoir ses compétences, son expérience et ses idées, surtout pour diriger le média dans lequel il a fait toute sa carrière.
Mais un autre rêve anime Boubacar Kanté, journaliste éclairé : Dans dix ans, j'aimerais laisser des livres en héritage à mes enfants. Mon goût pour la poésie me vient de ma sensibilité. Lucien Lemoine, notre professeur de diction radio d'origine haïtienne, poète et hommes de lettres aujourd'hui décédé, m'a fait promettre de ne pas en avoir honte.
Peut-être une nouvelle page à écrire à fleur de peau...