Ndiague Faye : la "Toubab" rapproche gouvernants et gouvernés
Projet associé
Connexions Citoyennes 2À 34 ans, Ndiague Faye collectionne diplômes et engagements de terrain. Le moteur de celle que ses proches appellent "future ministre" ou "toubab" : gouvernance représentative et leadership féminin.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.
Ndiague Faye : 34 ans et des diplômes en veux-tu en voilà ! BAC mention bien et première de son centre d'examen, elle décroche une bourse du gouvernement sénégalais pour étudier au Maroc. Suivent DEUG et Licence en droit public option relations internationales à l'Université Ndiague était remarquable par sa maturitéSidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Maîtrise et DEA en science politique de l'Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis au Sénégal. Ndiague était remarquable par sa maturité, sa discipline et ses contributions pertinentes. Elle captait l'attention, car elle était distinguée sans chercher à l'être, résume son ancien enseignant Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé à l'UGB.
Rien d'étonnant donc, à ce que l'actuelle doctorante en science politique ait divers surnoms qui la poursuivent depuis l'enfance. En tant qu'intello, on l'appelait la ‘‘toubab’’ de la famille. Grâce à elle, je poursuis mes études au Canada. Ndiague est une copie de notre papa décédé, quelqu'un qui investissait dans l'éducation de ses enfants, témoigne Samba Faye, son petit frère. Au tour de la grande sœur de se souvenir : Ingénieur, notre père avait été le seul de sa famille à faire des études universitaires. Avec ma mère, il nous a beaucoup encouragés. Chez nous à Diourbel (150 km environ à l'est de Dakar, Ndlr), très peu de femmes occupaient des postes de décision. Cela m'a aussi motivée à faire une carrière intellectuelle pour être indépendante.
Engagée, patiente et très modeste
Depuis avril 2022 conseillère technique en réforme administrative à la coopération allemande, GIZ, Ndiague Faye met en œuvre le projet Doolel-Admin du ministère de la Fonction publique et de la Transformation du secteur public. Dans le cadre de ses fonctions, elle structure la participation de la société civile et du secteur privé et a notamment comme responsabilité de créer des mécanismes de promotion et de maintien des femmes à des postes de responsabilité dans l’Administration sénégalaise. Un engagement dans la continuité de son ancien poste de consultante pour Voix et leadership des femmes, un projet financé par le Canada. Woré Ndiaye Kandji, cheffe dudit projet au Sénégal et ex-supérieure hiérarchique de Ndiague, témoigne : Elle était très engagée, car elle vient d'une région où les violences basées sur le genre (VBG) sont nombreuses. Ndiague a une tête très pleine, mais quand elle est avec des femmes de zones reculées, elle est patiente et très modeste.
Être activiste suppose avoir le courage
de dénoncer et d’alerter.
Parallèlement à son parcours professionnel, portée par ses convictions de démocratie représentative des gouvernés et de devoir de redevabilité des gouvernants, Ndiague Faye a développé grâce à Connexions Citoyennes 2de CFI, son projet SAYTU (vérifier, contrôler, mesurer en wolof), plateforme de contrôle citoyen de l’action publique locale : En 2017, lors de mes enquêtes (Afrobaromètre – Laissez le peuple s’exprimer) sur l’état de la démocratie et de la gouvernance politique au Sénégal, j'avais ressenti une frustration des citoyens de zones reculées où l'État n'était visible nulle part. SAYTU a commencé à germer pour que les autorités rendent des comptes et que tout citoyen cherche à s'informer sur le travail de sa mairie. Bien coachée, j'ai mené des enquêtes avec des élus locaux et rencontré en 2021 à Abidjan, lors du bootcamp de CFI, d'autres jeunes acteurs de changements avec lesquels je suis restée en lien.
Inspirer d'autres femmes dans les civic-tech
Prometteur, le projet négocie actuellement avec différentes mairies pour mener des expérimentations sur le terrain et en ligne sur une plateforme collaborative. Coordinatrice des Être activiste suppose avoir le courageprogrammes à AfricTivistes, Aisha Dabo encourage Ndiague Faye à poursuivre ses efforts : Elle s'inspire de notre projet Local Open GovLab. Sa démarche m'a aussi touchée, car, en tant que jeune femme passionnée et déterminée, elle va en inspirer d'autres dans le domaine des civic-tech. Au Sénégal, jusqu'ici, les femmes sont davantage dans l'administration ou les entreprises privées, moins dans la gouvernance.
Pourquoi ? Ndiague, paisible lionne de la Téranga, sort ses griffes et répond à la question : Être activiste suppose avoir le courage de dénoncer et d'alerter, des attributs encore très masculins au Sénégal. Je pense qu'il faudrait davantage accompagner les femmes dans les potentialités du numérique.
Dans 10 ans...
Samba Faye, petit frère de Ndiague, voit sa grande sœur aller loin : Dans dix ans, elle a l'étoffe pour diriger de grandes organisations internationales et développer des projets de politiques publiques et de participation citoyenne. Coordinatrice des programmes à AfricTivistes, Aisha Dabo est tout aussi optimiste : Son expérience dans l'administration centrale va l'aider à appliquer au niveau local. Son projet SAYTU pourrait couvrir la moitié du Sénégal en mettant en avant par exemple la scolarisation des filles dans le secondaire.
À ce propos, Woré Ndiaye Kandji, cheffe du projet Voix et Leadership des femmes au Sénégal envisage deux possibilités pour son ancienne consultante : Elle pourrait porter la question du genre dans ses travaux de recherche. Si elle sort de sa zone de confort, je la vois former des femmes dans les zones reculées à l'entrepreneuriat social et au digital sur l'autonomisation économique, la santé, les violences basées sur le genre (VBG), l'éducation ou le changement climatique.
Son ancien enseignant Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de science politique à l'UGB, voit à l'avenir Ndiague Faye occuper de hautes fonctions dans la coopération ou dans une autre organisation. Djiby Sene, un ami d'enfance, a un pronostic beaucoup plus précis : Ndiague est une battante ! Dans dix ans, vu son parcours, son caractère et son charisme, je la vois ministre, voire présidente de ce pays !
Ndiague Ministre pour son défunt père, sa mère et son meilleur ami. Mme Genre pour ses collègues... Ndiague Faye ne manque ni de surnoms, ni de perspectives : Le nom de ma mentor de tous les jours c'est Oulimata Sarr, ex-directrice régionale du bureau d'ONU Femmes en Afrique de l'Ouest et du Centre et actuelle ministre de l'Économie. Je travaille avec ses équipes. Cela me réconforte de marcher dans ses pas. J'aimerais aussi étendre à l’échelle nationale mon projet SAYTU et continuer à travailler sur les questions d'égalité et d'épanouissement des femmes.