3 questions à... Laurie Debove
Co-rédactrice de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique, qui compte près de 2 000 signataires individuels et une trentaine de médias, Laurie Debove, rédactrice en cheffe de La Relève et la Peste, média indépendant spécialisé dans l'écologie, a évoqué aux Assises internationales du journalisme de Tours la responsabilité environnementale des médias pendant et après les Jeux Olympiques de Paris.
Elle répond aux questions d'Emmanuel de Solère Stintzy.
Quels seront, selon vous, les principaux impacts environnementaux des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ?
Le premier impact négatif auquel tout le monde pense pour les grands rassemblements internationaux, c'est l'avion. Mais en réalité, les impacts environnementaux sur les territoires sont beaucoup plus insidieux que cela. Je pense notamment à l'épreuve de surf qui a été maintenue sur le site de Teahupo'o, à Tahiti (Polynésie française), malgré une polémique sur la nouvelle tour des juges en aluminium qui doit être construite sur les récifs coralliens. Une tour en bois existe pourtant déjà et est utilisée pour la World Surf League, mais les juges olympiques ont estimé que cela n'était pas suffisant...
Les travaux de construction de la tour en aluminium ont donc commencé, malgré une résistance locale très forte : si on casse le corail, on casse un écosystème fragile et unique. En tant que journalistes, nous suivons donc les travaux avec attention.
Par ailleurs, les Alpes françaises sont l'unique candidature retenue par le Comité international olympique (CIO) pour organiser les JO d'hiver en 2030, alors que le taux d'enneigement n'est plus du tout assuré ces dernières années... L'impact environnemental est donc clairement négatif à mes yeux pour les JO 2024 et le sera d'autant plus pour les JO 2030, car Dieu sait où nous en serons en termes de réchauffement climatique dans six ans...
Comment est née la Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique, et que contient-elle principalement comme engagements pour les médias signataires ?
Cette charte est née d'une réflexion entre plusieurs journalistes. Certain·es travaillent dans des médias indépendants, d'autres dans des médias mainstream (grand public). On souhaitait que l'écologie ne soit plus cantonnée à une page environnement à la fin d'un journal, mais traitée pour ce qu'elle est, à savoir une science à travers laquelle il faut évaluer l'ensemble des décisions économiques et sociétales.
Nous voulions également que cette charte puisse être pour les journalistes un outil pour convaincre plus facilement leurs rédactions de traiter des sujets écologiques. En tant que signataires de la charte, ils ou elles ne sont pas seuls.
Le contenu de la charte est décliné en 13 points, notamment : traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale ; faire preuve de pédagogie (donner par exemple des ordres de grandeur) ; s'interroger sur le lexique et les images utilisées ; élargir le traitement des enjeux ; enquêter sur les origines des bouleversements en cours (notamment le modèle de croissance et ses acteurs économiques, financiers et politiques) ; assurer la transparence (faire apparaître clairement les sources et révéler les potentiels conflits d'intérêts) ; informer sur les réponses à la crise (journalisme de solutions) ; se former en continu (évolution des connaissances) ; consolider l'indépendance des rédactions ; pratiquer un journalisme bas carbone, etc.
Comment adapter cette charte à d'autres pays ?
Une charte avait déjà été réalisée sur ce même sujet en Allemagne par des consœurs et confrères qui nous ont donné l'idée de la reproduire ensuite à notre contexte socio-économique et professionnel en France. Beaucoup de journalistes de pays d'Afrique francophone, comme le Togo, nous ont contactés à la suite de l'élaboration de notre charte pour que nous puissions l'étendre.
Mais, nous préconisons que chaque pays s'organise pour créer une charte réaliste en fonction de son contexte socio-économique. Nous leur conseillons donc de se regrouper d'abord en collectif, avec un petit noyau dur de journalistes. En France, nous étions une vingtaine de membres à travailler pendant six mois sur la rédaction de la charte pour qu'elle soit un outil que les journalistes puissent s'approprier facilement.
Nous essayons à présent de faire vivre notre collectif. Nous avons ainsi organisé en janvier dernier un temps fort qui montrait les bonnes pratiques dans les médias depuis le lancement de la charte il y a un an et demi, avec aussi des échanges et des ateliers : débusquer le greenwashing, rendre l'écologie désirable, proposer un sujet lié à l'écologie à sa rédactrice ou à son rédacteur en chef, etc.