Sokcheng Seang

Sokcheng Seang, la blogueuse qui murmure à l’oreille des jeunes

Projet associé

L’auto-entrepreneuse cambodgienne à l'origine du site Wapatoa a créé un modèle de média original où les jeunes parlent aux jeunes. Dans le cadre de Mekong Info Durable, elle a mis le pied à l’étrier à un groupe d’apprentis blogueurs et a misé sur l’infographie.
Portrait réalisé par Éléonore Sok.

 

À tout juste 25 ans, Sokcheng Seang, cofondatrice du site Wapatoa, s’est fait une place bien à elle dans l’univers des médias cambodgiens. La jeune femme, aux pommettes souriantes encadrées par des mèches de cheveux décolorées, a grandi dans une famille qui ne lisait pas. J’ai toujours aimé la lecture, même s’il n’y avait que deux livres de contes chez moi, autant dire que je les connais par cœur ! s’amuse-t-elle.
Lorsque sa famille quitte la ville côtière de Sihanoukville pour la capitale, la jeune fille épanche enfin sa soif de lecture en dévorant les copies de romans coréens ou chinois vendus autour des écoles. L’arrivée d’internet enflamme sa curiosité.

Penser les problèmes de la vie quotidienne.

Quand j’ai eu mon premier smartphone, je me suis mise à chercher frénétiquement des réponses à mes questions. C’est là que j’ai découvert les blogs, raconte-t-elle. Sokcheng crée Miss Cheng’s corner (Le coin de Miss Cheng) en 2013, un blog à son image : spirituel, sensible et décalé. Bloguer était pour moi une manière de continuer à partager les choses utiles que j’apprenais.
Diplômée en anglais et en commerce en 2018, elle se lance dans l’aventure entrepreneuriale la même année, à la suite de sa rencontre avec Alix Feschotte, une expatriée française passionnée de digital.

 

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Sokcheng Seang

 

Le développement personnel comme arme

Ensemble, elles fondent Wapatoa (“culture” en khmer), un site web bilingue khmer et anglais pour encourager les 16-25 ans à penser les problèmes de la vie quotidienne. La conception est imaginée minutieusement : design coloré, navigation de bas en haut pour scroller comme sur Facebook afin que les usagers retrouvent leurs repères, dans un pays où beaucoup possèdent un smartphone mais pas d’ordinateur. Les rubriques proposent des contenus sur la santé, l’éducation, la carrière, les finances, les arts, dans des formats novateurs : article, podcast, vidéo, bande dessinée.
On ne traite pas de sujets de société ou de politique, mais en un sens, le développement personnel est aussi politique, subtilement politique, glisse-t-elle, d’un air avisé. Sokcheng veut avant tout mettre l’accent sur la pensée critique, la bienveillance et la conscience environnementale.
Sa maxime : Des individus mieux informés et mieux dans leur peau font un monde meilleur !

 

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Interface de wapatoa

 

En peu de temps, Wapatoa a fidélisé 35 000 utilisateurs et totalise trois millions de vues sur Facebook en 2020. La petite équipe partage un immeuble du centre de Phnom Penh avec d’autres start-up ; une ruche où les jeunes gens prennent le temps de s’attabler autour de plats préparés par un cuisinier maison, et affirment leur amour de la sieste.
C’est important de créer un cadre excitant, stimulant, où les gens peuvent grandir, s’enthousiasme l'entrepreneuse. Et c’est ce qu’elle poursuit dans l’aventure du projet Mekong Info Durable.

Un espace où "se poser pour réfléchir"

La collaboration de Wapatoa avec CFI comporte deux volets. Le premier : la création d’infographies, par exemple sur le virus de la dengue ou sur la gestion des déchets. C’est le format le plus consulté car c’est accessible, il y a peu de texte et ça nous permet de nous distinguer car ici c’est innovant, explique-t-elle. Le second volet se concentre sur la formation d’un groupe de jeunes blogueurs. Un projet lancé en partenariat avec le groupe d’initiatives citoyennes et environnementales Young Eco Ambassador, créé il y a cinq ans.

Je distille mon point de vue et ça fait son chemin.

Nous avons sélectionné ensemble dix personnes pour une formation de six mois. Après un premier mois de rencontres avec des acteurs environnementaux locaux, l’équipe a suivi des sessions intensives de cinq matinées par semaine, détaille-t-elle. Sokcheng s’est chargée d’enseigner les techniques de recherche et de rédaction et Young Eco Ambassador a ouvert aux apprentis reporters son vaste carnet d’adresses. Je leur sers surtout de modèle ; en leur montrant ce que je fais, je les encourage à développer une écriture personnelle, à donner leur opinion, dit-elle.

Les clés de son succès auprès des jeunes : J’évite de les juger, de leur dire ce qui est bien ou mal comme le font les adultes. Je distille mon point de vue et ça fait son chemin, constate-t-elle. L’équipe a effectué deux visites de terrain, dans un village flottant du lac Tonle Sap et sur une île du Mékong, ce qui a nourri des articles sur les mollusques, le poisson-chat géant (un symbole de l’identité khmère), en voie de disparition, ou encore les zones de nidification piscicoles protégées.
Je suis surprise par l’investissement des stagiaires. Young Eco Ambassador a créé la page Facebook Dek Kheut (“Pose-toi et réfléchis”), où ils ont partagé les contenus produits et sont devenus contributeurs.