Olesia Tytarenko, l’avenir du journalisme indépendant en Ukraine
Olesia Tytarenko, ancienne correspondante de RFI à Kiev, en Ukraine, est devenue rédactrice en chef adjointe de la rédaction news de UA:PBC (Suspilne), le groupe audiovisuel public ukrainien qu’elle espère voir incarner le futur du journalisme indépendant dans son pays.
Née en Ukraine dans une famille de médecins, Olesia Tytarenko choisit pourtant très tôt une autre voie pour elle-même en se tournant vers le journalisme. À l’âge de 16 ans, alors qu’elle est encore sur les bancs de l’école, elle couvre déjà l’actualité culturelle en tant que pigiste d’un titre de presse régionale. Une passion qu’elle poursuit à l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev, où elle obtient une licence de journalisme avec mention Très bien : « J’ai toujours porté un intérêt particulier aux matières qui concernaient l’écriture et la littérature à l’école, raconte-t-elle. J’ai longtemps hésité entre le droit et le journalisme, mais ma volonté de m’exprimer et d’aider a été plus forte, alors j’ai choisi le journalisme. »
Pendant ses études, Olesia effectue de nombreux stages dans des radios et télévisions ukrainiennes, au sein du journal parlementaire de l’Ukraine et de quelques médias en ligne. Alors qu’elle termine sa licence, une révolution éclate en Ukraine en novembre 2013, suite à la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d'association discuté de longue date entre l'Ukraine et l'Union européenne. Trois mois de manifestations massives, qui prendront le nom de révolution d'Euromaïdan, provoquent la fuite en Russie et la destitution du président d'alors, Viktor Ianoukovytch, après des fusillades qui provoquent la mort de plusieurs dizaines de manifestants. Après l'établissement d'un nouveau gouvernement à Kiev, la Russie envahit militairement la Crimée et annexe la péninsule après un référendum non reconnu par la communauté internationale, qui déclenche une crise diplomatique majeure.
“J’ai découvert le vrai journalisme de terrain”
C'est là un tournant politique autant que personnel pour cette graine de journaliste qui doit alors apprendre à faire du journalisme de terrain dans l’urgence : « Avant la révolution, l’Ukraine était un pays paisible et nous, jeunes journalistes, n’étions pas prêts à couvrir ce type d’événements, mais plutôt habitués aux visites officielles ou aux expositions culturelles, se remémore Olesia. Quand la guerre a éclaté dans le Donbass, nous avons tous dû nous reconvertir très rapidement. Je ne savais pas travailler dans ces conditions de conflit, j’ai dû apprendre à écrire vite, à rapporter des sons et de l’image de qualité sans moyens techniques. C’est là que j’ai découvert le vrai journalisme de terrain et non plus celui que je faisais dans ma petite chambre. »
Décidée à élargir ses horizons, la jeune femme part effectuer un master en France, où elle étudie l’administration des activités culturelles à l’Université du Capitole de Toulouse. À cette époque, son intérêt se dirige vers le journalisme judiciaire et les affaires internationales. De retour en Ukraine, elle devient correspondante à Kiev pour la rédaction de Radio France Internationale (RFI) en langue russe, pour laquelle elle couvre régulièrement des affaires judiciaires comme celle de l’ancien président ukrainien Petro Porochenko : « j'ai alors remarqué qu’il me manquait certaines connaissances sur les procédures et les acteurs du secteur judiciaire, il me fallait trouver un moyen de combler mes lacunes. »
Olesia décide donc de poser candidature pour le programme de formation de 6 mois en "journalisme justice" mis en place par CFI en Ukraine dans le cadre de Pravo Justice, un projet soutenu par l'UE qui soutient et accompagne la réforme du secteur judiciaire en Ukraine. Ce cycle de formation permet à des journalistes qui souhaitent couvrir les affaires de justice de participer à des ateliers, des masterclasses. Ils rencontrent et échangent également avec des spécialistes du système judiciaire et des professionnels des médias afin de mieux comprendre le système de l'intérieur. « Je me souviens avoir rencontré des intervenants très intéressants, comme le représentant de la Haute cour anti-corruption d'Ukraine ou encore la journaliste française Pascale Robert-Diard, qui écrit sur les affaires de justice au journal Le Monde, témoigne Olesia. Maintenant, quand je couvre des affaires judiciaires, je les observe non seulement d’un point de vue journalistique, mais aussi comme une experte qui comprend le système et le rôle d’un procès sur le plan global. »
Aujourd'hui, Olesia travaille comme rédactrice en chef adjointe du service actualités de UA:PBC, une télévision également appelée Suspilne (Public), la chaîne de télévision publique nationale d'Ukraine, en fait un grand groupe audiovisuel englobant des télévisions, des radios et des plateformes digitales, engagé dans une grande réforme depuis 2017 : UA:PBC ambitionne de s'imposer comme l'équivalent ukrainien de la BBC. « En Ukraine, la situation du journalisme reste compliquée, même si les choses se sont améliorées depuis la Révolution de la Dignité (Euromaïdan). La plupart des médias sont possédés par des oligarques dont l'intérêt est de créer leur propre réalité médiatique financièrement rentable. Chez Suspilne, nous avons une brillante équipe de rédacteurs en chef qui ont déjà travaillé pour des médias étrangers ou qui ont une expérience significative du journalisme de qualité. Je crois qu'il est important que le public comprenne l'importance des journalistes et de leur protection. Quant aux hommes politiques, ils doivent comprendre que les journalistes ne sont pas des propagandistes à la solde du pouvoir. »