Laurent Moustache, le chasseur de fake news

Laurent est arrivé dans le monde de la coopération un peu par hasard, à l’occasion d’un volontariat international au Burundi. Une mission d’un an qui a changé le cours de sa carrière et lui a donné le goût de l’ailleurs. De l’Inde au Sénégal, en passant par le Togo, suivez le parcours de ce passionné des fake news, aujourd’hui responsable de projet chez CFI !

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Laurent Moustache

 

Laurent, vous travaillez actuellement sur les projets Désinfox Afrique et Désinfox Sahel. Pouvez-vous nous parler de ces projets ? 

Ces deux projets ont vocation à lutter contre les fausses informations dans dix pays d’Afrique de l’Ouest, centrale et du Sahel. Nous constatons que les techniques de désinformation sont de plus en plus sophistiquées dans ces pays, et posent évidemment des défis croissants en termes de démocratie, de stabilité et de cohésion sociale. Notre objectif est donc de former les journalistes – une centaine, répartis dans les dix pays – au fact-checking et à différentes techniques de vérification de l’information. Les deux projets sont financés par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et ont été lancés en 2020 pour Désinfox Afrique, et il y a quelques mois pour Désinfox Sahel. Concrètement, nous proposons des formations sur les fondamentaux du fact-checking, la détection des fausses informations sur les réseaux sociaux, l’investigation en sources ouvertes (OSINT), les critères de l’International Fact-Checking Network (IFCN) ou encore la prise en main d’outils et logiciels spécifiques. Nous soutenons également la production d’articles, de reportages et de rubriques à travers un accompagnement personnalisé. Au Sahel, nous travaillons à la création d’un réseau régional de fact-checkers francophones, afin de mettre en commun les ressources, les compétences et les pratiques des journalistes des dix pays couverts.

 

Comment êtes-vous arrivé à ce poste chez CFI ? 

C’est une longue histoire ! Au départ, rien ne me destinait à travailler dans le développement des médias, ni dans le développement tout court. J’ai suivi des études en sciences politiques à Paris I, avec une spécialité en communication politique et publique. Ma carrière semblait toute tracée : j’allais devenir assistant parlementaire ou chargé de communication au sein d’une institution publique. Et puis, en 2014, sur un coup de tête, je suis parti en volontariat international au Burundi, pour les Nations Unies, pendant un an. C’était la première fois que j’allais en Afrique, que je voyageais à l’étranger, et que je vivais seul. Une expérience déterminante, qui a marqué un tournant dans mon parcours. Je suis ensuite parti en Inde comme chargé de Projets Microfinance pour l’autonomisation des populations marginalisées, puis au Nord Togo comme chargé d’appui à la coopération décentralisée. En 2018, j’ai commencé à travailler pour Expertise France, en tant que chargé de projets au sein du pôle Renforcement des Forces de Défense et de Sécurité, en lien avec différents pays - Côte-d’Ivoire, Burkina Faso, Jordanie… Mais après quatre ans de missions, j’ai ressenti une certaine lassitude et une perte de sens dans mon quotidien professionnel. A cette époque-là, j’alimentais un compte Instagram personnel, où je « débunkais » des fausses informations. Lorsqu’en juin 2022, j’ai vu l’annonce de CFI pour le projet Désinfox, je me suis dit que le poste était fait pour moi, et que c’était l’occasion d’un nouveau départ !

Lors de mes déplacements sur le terrain, j’entre en lien direct avec la réalité des journalistes africains, leurs préoccupations, leurs enjeux. Cela fait relativiser bien des choses !

Quelles sont vos sources de satisfaction au quotidien ? 

Mon poste chez CFI m’amène à faire des rencontres passionnantes, avec des gens qui ont des expertises et des compétences incroyables. Par exemple, j’ai encadré récemment une formation d’une semaine à Abidjan sur l’Open Source Intelligence (OSINT) : j’ai été impressionné par ce que la formatrice était capable de faire, avec des outils en ligne accessibles à tous ! Quelques mois avant, je ne savais même pas ce qu’était l’OSINT… Le programme Désinfox m’apprend énormément, sur le plan technique comme sur le plan humain. C’est la première fois que je suis autant en contact avec les bénéficiaires de mes projets. Lors de mes déplacements sur le terrain, j’entre en lien direct avec la réalité des journalistes africains, leurs préoccupations, leurs enjeux. Cela aide à relativiser ! Souvent, je me dis que ce métier me fait vivre des choses que la plupart des gens ne vivront jamais… J’aime aussi beaucoup le fait de représenter la France dans mes missions : derrière chacune de nos actions, c’est finalement l’image de la France qui est en jeu, et je trouve cela très gratifiant. 

 

Quels sont les aspects plus difficiles de votre métier ? 

Il y a un certain stress à gérer au quotidien, bien sûr. S’il y a le moindre problème qui empêche un bénéficiaire d’assister à une formation, par exemple, j’en suis tenu responsable. Il faut donc être extrêmement vigilant à toutes les étapes, garder la tête froide en cas de difficultés (et il y en a beaucoup !), et se dire que chaque problème a sa solution. Étant donné que nous gérons de l’argent public, nous sommes également confrontés à des processus de décisions qui ralentissent – et empêchent parfois – la mise en place de certaines actions. Il y a des jours où j’aimerais que tout soit plus rapide et plus souple !

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Illustration assiette
L’alloco, poulet braisé et jus de bissap. Mon plat "réconfort" et le compagnon indispensable de tous mes voyages en Côte-d'Ivoire ou au Sénégal !

 

Quelles sont les qualités les plus importantes pour exercer votre métier ? 

Il faut d’abord être très créatif, pour réussir à contourner les obstacles, trouver des solutions au pied levé, inventer de nouvelles manières de faire quand celles qui étaient prévues ne fonctionnent pas. La deuxième qualité indispensable à mes yeux, c’est l’humilité. Nous devons avoir conscience de notre juste place. Nous contribuons certes à améliorer le quotidien des gens dans les zones que nous couvrons, mais ne surestimons pas notre rôle : à la fin de la journée, nous n’avons sauvé personne. L’humilité permet également de ne pas tomber dans le piège de l’ethnocentrisme. Notre esprit a été formaté d’une certaine manière, qui n’est pas toujours opérante. Il faut apprendre à changer de grille de lecture lorsque c’est nécessaire.

 

Une anecdote à nous raconter ? 

Le 31 mai dernier, je pose pour la première fois mes valises à Dakar pour une mission d’une semaine. Le lendemain, 1er juin, des violences éclatent dans la ville après la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko. Dakar se vide, les messages que j’essaie d’envoyer à mes proches ne passent pas, le siège de CFI s’agite et me presse de donner des nouvelles. Finalement, plus de peur que de mal, mais je me souviendrai longtemps de cette première journée « terrain » au Sénégal !