Henrik Ahrens, à la croisée des chemins

Henrik est allemand, travaille pour la France, habite à Oman et travaille avec des journalistes libanais, iraquiens, saoudiens et palestiniens. Vous avez perdu le fil ? Henrik nous explique tout, depuis ses études en Allemagne jusqu’à son arrivée chez CFI en tant que directeur du projet Qarib en 2021 !

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Portrait illustré Henrik Ahrens

 

Henrik, quel a été votre parcours avant de rejoindre CFI en décembre 2021 ?

Après des études en sciences politiques, philosophie et islamologie à Berlin, j’ai évolué pendant une dizaine d'années dans le monde du développement et du soutien aux médias. J’ai notamment travaillé au MICT (Media in Cooperation and Transition) en tant que chef de projet éditorial puis Directeur Pays en Irak pendant 5 ans, puis pour Internews Europe, comme Directeur de Projet MENA. C’est dans ce dernier cadre, à l’occasion d’un projet en Syrie, que j’ai établi mes premiers liens avec CFI. A partir de 2017, j’ai réalisé plusieurs missions en tant que consultant indépendant, toujours dans le domaine du développement des médias. Lorsque j’ai vu l’annonce de CFI pour le poste de Directeur du programme Qarib, je me suis dit que ce poste était fait pour moi : je parle français, je connais bien l’Irak, et le projet s’inscrit vraiment dans mon champ d'expertise. J’ai postulé, et repris les rênes du projet en décembre 2021 !

 

Pouvez-vous justement nous parler de Qarib, ce projet que vous dirigez désormais depuis Oman, en Jordanie ?

Il s’agit d’un projet financé par l'Agence française de développement (AFD), qui vise à soutenir les médias en Jordanie, au Liban, en Irak et en Palestine. L’objectif, plus précisément, est d’améliorer la représentation de certaines populations minoritaires et marginalisées au sein du débat public. Aujourd’hui, certains genres, groupes ethniques ou catégories socio-culturelles sont invisibilisés dans les médias de ces pays. Notre rôle est de leur donner une meilleure couverture journalistique et de contribuer ainsi à améliorer la cohésion sociale dans la région : ici comme partout, les médias sont des acteurs de transmission des valeurs et de représentation des identités ; ils constituent à ce titre de puissants outils de transformation sociale. Nous travaillons également à faire monter en puissance certains sujets encore peu traités, ou de manière peu approfondie : changement climatique et ses effets sur l’environnement, gouvernance locale, élections…

Ma plus grande source de satisfaction, c’est de voir l’impact positif de notre travail : un remerciement d’un journaliste que nous accompagnons, un produit journalistique exceptionnel diffusé par nos médias bénéficiaires, un sujet nouveau qui émerge…

Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’actions concrètes que vous avez menées avec votre équipe dans le cadre de ce projet ? 

Nous menons une grande diversité d’actions sur le terrain : formation des journalistes, organisation de concours et d’appels à projet, soutien financier pour permettre à nos bénéficiaires de couvrir certains événements (par exemple, la COP27), système de mentorat, création d’une communauté de médias pour encourager le partage des bonnes pratiques… Notre approche repose sur l’idée que chaque média a des besoins bien spécifiques, et que nous devons y répondre de la manière la plus personnalisée et adaptée possible. La dimension financière et « business » est également très importante : les médias que nous accompagnons sont des médias indépendants, qui éprouvent des difficultés à être économiquement viables. Nous les aidons à améliorer leurs opérations pour créer du revenu, les formons au marketing numérique et travaillons à faire évoluer le cadre légal des pays dans lesquels ils travaillent.

 

Quelles sont vos plus grandes sources de satisfaction dans l’exercice de vos fonctions actuelles ? 

D’abord, j’ai la chance de travailler avec une équipe incroyable, très engagée dans le projet, motivée et qui sait donner le meilleur, à la fois professionnellement et personnellement. Je me sens donc extrêmement bien entouré. J’aime aussi beaucoup travailler dans le contexte multilingue et multiculturel qui est le nôtre : je travaille depuis Oman sur 4 pays différents, et dans notre quotidien l’arabe se mélange souvent à l’anglais, et aussi au français avec les collaborateurs du siège. J’apprécie ce cadre ouvert et fluide. Mais ma plus grande source de satisfaction, c’est de voir l’impact positif de notre travail :  un remerciement d’un journaliste que nous accompagnons, un produit journalistique exceptionnel diffusé par nos médias bénéficiaires, un sujet nouveau qui émerge… Ce sont pour moi autant de signes précieux qui nous montrent que nous sommes sur le bon chemin, et que nos actions répondent vraiment aux besoins. 

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Illustration de chemins à Petra en Jordanie
Pétra, en Jordanie, illustre bien ce qui caractérise pour moi la région : le contraste entre la tradition, le moderne, le postmoderne, mais aussi la diversité de gens et d’opinions. J’observe souvent une prise de distance avec ce que l’on considère comme la “culture locale” et cette liberté crée parfois des surprises assez drôles !

 

Qu’est-ce qui est plus difficile au quotidien ? 

De manière évidente : le contexte politique. Les quatre pays couverts par le projet Qarib ne sont pas connus pour être particulièrement souples en matière de liberté de la presse ou de liberté d’opinion. Nous devons composer avec un certain nombre de contraintes, de restrictions, de lignes rouges, dans des contextes parfois compliqués sur le plan de la sécurité. C’est une réalité qu’il faut accepter. A un niveau plus opérationnel, nous devons également faire face à une certaine lourdeur administrative, liée essentiellement au fait que le projet repose sur des financements publics. C’est souvent chronophage, mais c’est pour la bonne cause !

 

Quels sont les principaux enseignements que vous pensez tirer de ce projet à titre personnel ? 

Le projet Qarib m’aura appris à gérer un projet complexe, d’envergure régionale et doté d’un budget important (10M€). C’est le premier projet de cette ampleur que j’ai été amené à diriger de A à Z et bien sûr, c’est très formateur. Qarib m’apprend également à naviguer entre des mondes très différents et à savoir communiquer avec chacun d’eux : d’un côté le monde des médias moyen-orientaux, de l’autre celui de la diplomatie française. Moi, l’allemand qui représente la France à Oman, j’ai dû trouver ma place dans tout cela ! Enfin, c’est un projet très prenant, souvent stressant : pour tenir, il faut apprendre à gérer son énergie sur la durée, se ménager des sas de décompression, et prendre les choses avec recul – et, quand c’est possible, avec une dose d’humour. « Stay cool », c’est ma philosophie !