deux personnes plantent un arbre

Donner la parole à celles que l’on n’entend pas

Échos des voix féminines est un projet qui donne la parole à celles que l’on n’entend pas, qui donne l’opportunité aux femmes de la région de Marrakech-Safi de s’exprimer librement et de faire entendre leur voix. Un projet qui leur permet de comprendre les discriminations dont elles sont victimes et leur procure la force de changer les choses. 

 

Pour Hafida, tout a commencé le 28 juin 2018. Contactée pour participer au projet en tant que contributrice, elle n’a pas hésité un seul instant. Pour elle, l’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur qui n'est pas négociable, qui ne l’est jamais. Elle sait combien cette conviction, en apparence simple, ne va pas de soi dans un pays où les femmes souffrent encore d’importantes inégalités.

Près d’une Marocaine sur deux a déjà subi des violences physiques, psychologiques ou sexuelles et des milliers d’adolescentes continuent d’être mariées contre leur gré (1). Dans les régions rurales, 60 % des femmes sont analphabètes contre 35 % des hommes. Les opportunités économiques qui leur sont offertes y sont également plus rares car elles vivent principalement de l'agriculture ou de l’artisanat et n’ont qu’un accès limité aux informations, aux crédits bancaires et à la formation. 

(1) Note du Haut Commissariat au Plan (HCR), 2019

 

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deux personnes enregistrent un podcast

 

Faire entendre la voix des jeunes femmes de la région rurale de Marrakech-Safi 

C’est pour réduire ces inégalités que Échos des voix féminines est né. Porté par CFI et l’Association Initiatives Citoyennes (AIC), le projet avait une double ambition : renforcer la présence des femmes rurales dans le débat public et les guider dans la recherche collective de solutions aux inégalités qu’elles subissent. 

Pour les 25 membres de AIC, lutter contre les inégalités de genre en produisant des contenus radiophoniques s'est imposé comme une évidence. Depuis 2016, l’association offre un espace de parole à la jeunesse marocaine à travers sa radio alternative, Kech Radio. Cette fois, il s’agit de diffuser sur les ondes la voix de jeunes femmes issues de la région de Marrakech-Safi, une région rurale du Maroc. 

La toute première webradio du Maroc 

Pour aller à leur rencontre, Kech Radio a développé une web-radio itinérante qui, pendant 16 mois, a sillonné cette région montagneuse, difficile d’accès et où les barrières sociales demeurent très fortes. Pour ses habitantes, témoigner dans les médias reste perçu comme une transgression des règles locales de pudeur et de bienséance. 

Pour recueillir leur parole, il a donc fallu s’entourer d’autres femmes et d’autres hommes. Seize très exactement. Pour la plupart issu·es du monde associatif, ces contributeurs et contributrices volontaires ont animé des ateliers préparatoires aux émissions qui ont permis d’établir un lien de confiance avec les participantes. À Sidi Bouatmane, les femmes craignaient, au départ, de prendre la parole et de tenir le micro entre les mains mais, rapidement, elles ont été nombreuses à vouloir parler. Les femmes berbères du Haouz ont pu s’exprimer dans leur langue natale, l’amazigh, et cela a fait toute la différence. Issue du même douar (2), c’est Hafida qui a organisé  les rencontres et animé les émissions. 

(2) Sous-division administrative rurale d’une commune en Afrique du Nord

 

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photo de groupe

 

Des thématiques ignorées des médias traditionnels   

Au total, 360 femmes, âgées de 15 à 35 ans, et issues de 39 communes différentes ont accepté de témoigner. Elles ont raconté le mariage forcé, l’abandon de l’école et les rêves évaporés. Toutes auraient souhaité pouvoir terminer leur scolarité. Aujourd’hui, plus de la moitié d’entre elles ne sait ni lire ni écrire. Beaucoup se sentent démunies face aux institutions publiques et aux procédures administratives nécessaires pour monter une coopérative d’activités. Elles aimeraient obtenir des réponses mais ces problématiques demeurent marginalisées dans les médias traditionnels et dans la sphère politique. 

Grâce à Échos des voix féminines, et aux trois émissions produites (Hannat Ydik, Nissa Raidate, Timgharine), ces sujets trouvent enfin une place. Les jeunes femmes des régions rurales du Maroc sont écoutées. Les discriminations qu’elles subissent ne peuvent plus être invisibilisées puisque leur voix existe désormais. Elle résonne par delà les montagnes.

Oser s’exprimer, un combat déjà gagné 

Pour ces femmes, souvent cantonnées à la sphère privée, rendre public leur vécu à travers leur propre voix n’est pas un acte ordinaire, loin de là. C’est un combat de gagné. Amina, étudiante et militante associative, n’a désormais plus peur de s’exprimer : À mon arrivée à l’université, j’ai été invitée à prendre la parole sur les conditions de vie des femmes rurales. J’ai pu participer facilement grâce à mon expérience avec Kech Radio. Je ne me sens plus intimidée.  Depuis, Amina a intégré plusieurs associations et convaincu d’autres étudiantes de se joindre à elle. 

Un choc militant

Pour certains contributeurs et contributrices, c’est le contenu même des émissions qui a été un élément déclencheur. C’est le cas de Najib, pour qui l’émission consacrée au mariage des mineures a été un véritable choc. Bouleversé d’apprendre que sa propre mère fut mariée à 14 ans sans pouvoir poursuivre sa scolarité, il a décidé de s’engager dans des actions militantes d’alphabétisation. Sa mère a été sa première élève. 

Même enthousiasme pour Saadia Daoudi : Les productions radiophoniques de Échos des voix féminines ont enrichi mes informations sur les droits de l’homme, surtout en ce qui concerne les droits des femmes. [...] Depuis que j’ai eu une compréhension claire du contexte politique, des lois et des acquis en matière de droits des femmes, j’ai décidé d’investir le domaine politique. Avec succès, puisqu’elle est aujourd’hui vice-présidente de la commune de Zaouia Ben Hamida. 

Au total, sept ancien·nes participant·es aux émissions se sont présenté·es aux élections locales (3). Toutes n’ont pas été élues mais qu’importe. Elles prennent leur place, existent. Elles savent désormais qu’elles ont un rôle important à jouer. Que si elles ne portent pas une parole différente, personne ne le fera. 

Car prendre conscience des discriminations à l'œuvre, c’est aussi prendre conscience des contraintes qui pèsent sur l’émancipation des femmes et trouver la force de les dépasser. 

(3)  Six femmes et un homme

Un rêve enfin accessible, gérer sa propre activité 

C’est grâce à sa participation au projet que Nadia Knous a réalisé que les femmes pouvaient développer des projets coopératifs. Ça parait simple. Ça ne l’est pas. Il lui fallait connaître ses droits. C’est grâce à cela qu’elle osé créer Bioteken, une coopérative d’aviculture qui permet aux femmes du douar Oulad Slama de mutualiser leurs productions et de trouver des débouchés commerciaux communs. Tout comme Nadia, nombreuses sont les participantes de Échos des voix féminines à avoir créé une coopérative, une association ou un centre multi-services à la fin du projet. 

Un succès pour Kech Radio

Quant à Kech Radio, ses émissions sont écoutées dans tout le Maroc et dans les pays limitrophes d’Afrique et du Moyen-Orient. Ses membres ont développé une expertise précieuse sur les droits des femmes et formé un très large public à l’univers radio. Khalil Al Akhiri, qui produit désormais des contenus sur les thématiques liées aux droits des femmes et des migrant·es pour Kech Radio, s’en réjouit : De [contributrice] du projet, j’en suis devenue porteuse !  D’autres radios associatives, comme Ouaha Web Radio, Radio Al Amal ou Radio Tassout ont aussi vu le jour. Pour diffuser leurs émissions, elles ont principalement recours à Whatsapp, un réseau très utilisé dans une région où l’accès à internet est plus difficile qu’ailleurs et l’accès à l’information inégalitaire. 

Des auditrices mieux informées, des femmes plus solidaires 

C’est sur ce même réseau que les auditrices ont créé des groupes de discussions réservés aux femmes. Elles y échangent sur les témoignages entendus lors des émissions de Échos des voix féminines. Elles se soutiennent et se conseillent. 

De nouveaux liens se créent, de nouvelles solidarités apparaissent. Elles cherchent ensemble des solutions aux inégalités sociales, culturelles et économiques qu’elles subissent. Elles dénoncent les violences politiques qui persistent et les problèmes de transport qui les handicapent au quotidien. Elles s’en ouvrent entre elles, sur les ondes, auprès des élu·es ou lors de prises de paroles publiques. Elles sont visibles dans la société marocaine. Pas toujours écoutées, mais enfin entendues. Et c’est déjà beaucoup. 

Pour la première fois, Hafida a pu raconter sa propre histoire. Celle d’une jeune élève issue d’un douar reculé remplie d’espoir. Elle a été l’une des premières filles rurales de la province de Chichaoua à avoir terminé des études universitaires. Elle sait désormais qu’elle ne sera pas la dernière.