Nadine Ndjomo : dame de fer revenue de l'enfer

Nadine Ndjomo : dame de fer revenue de l'enfer

Projet associé

Au départ, Nadine Ndjomo n'a pas été gâtée par la vie. Aujourd'hui, à 31 ans, cette journaliste camerounaise de caractère a des responsabilités dans son média. Elle s'engage aussi pour informer et éduquer les filles.
Portrait réalisé par Emmanuel de Solère Stintzy.

Père absent, mort quand elle avait 11 ans. Mère décédée quatre ans plus tard. Famille brisée. Mariage forcé. Epoux violent... Nadine Ndjomo, 31 ans aujourd'hui, a eu de douloureux débuts dans la vie : Quand maman est morte, il ne lui restait plus que la peau sur les os. Elle avait passé son temps à aider les gens, mais plus personne n'était là pour elle... C'était l'enfer sur terre. Ma famille s'est disloquée. Je suis devenue mère à 17 ans. À l'heure actuelle, j'ai toujours un œil qui voit seulement à 20% à cause des coups reçus...

débrouille toiUne vision réduite qui ne l'empêche pas de regarder son passé avec lucidité : « J'ai hérité du caractère de ma mère. Elle ne riait pas beaucoup et disait les choses de la manière la plus froide possible, comme un homme ! Quand elle parlait, tout le monde se taisait ! Les gens l'appelaient ‘‘Margaret Thatcher’’ (ex-Première ministre du Royaume-Uni, surnommée la Dame de fer, Ndlr). De cette mère dure et tendre, Nadine a retenu une phrase clef : le premier mari d'une femme c'est le travail... Alors, à la mort de ma mère, même après avoir été battue, je lisais mes leçons.
Pour encourager toutes les autres filles à tenir bon dans leur scolarité Nadine Ndjomo publie, chez L'Harmattan, un livre-témoignage en 2021 : Débrouille-toi, tu es une femme ! Une révélation pour ses proches. Une autre gamine aurait baissé les bras, mais l'histoire de Nadine l'a forgée. Après avoir lu ce récit poignant, je l'ai admirée encore plus pour avoir réussi ses études et sa vie de femme ! témoigne le colonel-magistrat à la retraite Me Hiehies Jonas, avocat au Barreau du Cameroun, qui est devenu en quelque sorte un père adoptif pour Nadine après la mort de ses parents.

Si vous fermez la porte, elle entre par la fenêtre !

Un parcours effectivement exemplaire : après sa licence en communication option journalisme en 2014, Nadine Ndjomo a obtenu en 2022 un master 2 relations internationales, option coopération internationale et décentralisée à l'Institut des relations internationales du Cameroun (Iric). Depuis 2018, elle est aussi coordinatrice adjointe du journal L'Œil du Sahel : J'aime chercher le mot juste pour emmener le lecteur avec moi sur le terrain. Par exemple, je n'ai jamais oublié une image de 2015 dans un camp de réfugiés à Ngam (au nord du Cameroun, Ndlr) : les 9 enfants d'une veuve se ruant sur le bol de mil qu'elle leur avait préparé...

Des reportages de terrain appréciés en particulier par son directeur de publication Guibai Gatama : Comme coordinatrice régionale à Ngoundéré, Nadine, originaire du sud du pays, nous a apporté un regard nouveau. Travailleuse et rigoureuse, elle est quasiment mon bras droit aujourd'hui. Devenu son ami après avoir été son confrère, Valkossa Mohamadou est lui frappé par son obstination : Un jour, au ministère de la Santé, un protocole-communicant du ministre nous gênait un peu, mais Nadine voulait interviewer son chef ! Femme, en plus jeune, elle a eu son entretien avec le ministre, et pas moi ! Elle mène beaucoup d'investigations sur l'éducation. Et, quand elle veut des infos, elle les obtient ! Si vous fermez la porte, elle entre par la fenêtre !

Déterminée à encourager les jeunes filles à se former pour devenir des femmes indépendantes, Nadine Ndjomo a crée en 2017 l'association Read more : J'achète des cahiers, des stylos et des serviettes hygiéniques pour les enfants. Orpheline, je sais que ces choses en apparence anodines sont d'une importance capitale... Moi, j'ai utilisé un bout du tissu pagne de ma mère pendant plusieurs mois quand il me manquait 500 FCFA (moins d'1 €) pour acheter une serviette hygiénique...
Fin 2020, Nadine crée son journal en ligne Sukulu News (école dans certaines langues camerounaises) : Le fact-checking sur l'éducation n'existe pas encore au Cameroun, mais après avoir été formée par CFI (projet Talk Paix, Ndlr), je compte insérer une rubrique sur mon site, car il y a parfois sur les réseaux sociaux de faux communiqués de pseudos ministères ou de fausses annonces de formations pour étudiants.
Tremblez faussaires : visage impassible et voix glaciale, la ‘‘Dame de fer’’ arrive !

skuklu

Dans 10 ans...

Journaliste ? Formatrice ? Féministe engagée pour l'éducation des filles ? Que fera Nadine Ndjomo dans 10 ans ? Ses amis sont partagés.
Nadine sera cheffe d'un média ou d'une webTV. Sukulu.news deviendra un journal ou une radio. Nadine créera peut-être une structure pour aider les jeunes filles à être indépendantes, pronostique pêle-mêle son ami et ex-confrère Valkossa Mohamadou.

Nadine NdjomoDes prévisions dans lesquelles se retrouve en partie le colonel-magistrat à la retraite Me Hiehies Jonas, en quelque sorte un père d'adoption pour Nadine : Après ce qu'elle a traversé, elle sera une féministe engagée pour les jeunes filles en détresse. Je la vois dans un organisme international pour être utile. Peut-être aura-t-elle aussi d'autres histoires à écrire ?
De son côté, Guibai Gatama, son directeur de publication à L'Œil du Sahel, voit Nadine Ndjomo enseignante en journalisme ou journaliste à l'international : Elle a tellement de qualités et tellement à donner qu'on doit lui ouvrir des portes plus grandes !

Mais, la ‘‘Dame de fer’’ garde les pieds sur terre : On devient journaliste, on meurt journaliste ! rit-elle doucement. Nadine n'est pourtant pas allergique à l'idée de transmettre : J'ai déjà commencé à enseigner le journalisme avec mes stagiaires. Dans dix ans, j'aurais aussi probablement écrit quatre ou cinq livres. J'espère que certains seront traduits et adaptés en films pour toucher plus de gens. L'éducation restera, semble-t-il, au cœur de ses préoccupations : Sukuku.news couvrira une grande partie des pays africains, avec des articles en anglais et en espagnol. Grâce à ma formation en coopération internationale, j'espère trouver des partenaires. Enfant, je voulais être prof d'université en relations internationales. J'ai commencé à réaliser mon rêve. J'abandonne très rarement un projet, peu importe le temps que ça prend...
Là où elle repose en paix, la maman de Nadine au caractère d'acier doit être fière de sa petite ‘‘Dame de fer’’...