Al Hudood

Al Hudood, la satire comme antidote à la censure

Al Hudood est un journal satirique et décalé jordanien. Ovni médiatique, il est surtout un moyen de contourner les interdits politiques et de repousser les frontières de la liberté d’expression. Rencontre avec Lo’ai Hazem, caricaturiste et journaliste au sein du média.
Portrait réalisé par Lou Mamalet.

 

C’est en 2013 que le jeune entrepreneur jordanien Isam Uraiqat décide de lancer Al Hudood, un média d’information parodique, similaire à The onion aux États-Unis, qui traite de politique et de société sous un angle délibérément irrévérencieux. Si bien qu’en quelques années seulement, il a réussi à s’imposer comme un journal alternatif crédible auprès d’une jeunesse ayant perdu confiance dans les médias traditionnels depuis les Printemps arabes.
Lo’ai Hazem est caricaturiste politique et a rejoint Al Hudood en 2015 : Avant, j’avais surtout travaillé pour des journaux locaux. Lorsque Al Hudood m’a demandé de faire des dessins pour eux, j’en ai fait un, puis ils m’en ont demandé un deuxième, un troisième et maintenant ils ne peuvent plus se passer de moi… (rires).

Un combat contre les fausses informations

Depuis qu’il est membre de l’équipe éditoriale, il s’attaque à des sujets sensibles comme la corruption, les questions d’égalité entre les genres, ou encore de gouvernance au Moyen-Orient, thèmes qu’il aborde sans compromission et avec une grande rigueur. Une mission devenue essentielle à l’heure où les infox abondent sur les réseaux sociaux. 
Afin de contrer la propagation des fake news, nous avons lancé les ‘Al hudood awards’ du journalisme arabe en 2017, une récompense qui cible les pires exemples de propagande trouvés dans les médias arabes, qu’il s’agisse de discours haineux incitant à la haine sectaire ou à la xénophobie. Nous avons aussi une équipe de fact-checking en interne qui s’occupe de récupérer les fausses informations publiées dans la presse régionale et de les corriger, comme un professeur le ferait sur une copie. Ensuite, nous les publions sur notre version papier ou numérique," explique le caricaturiste.

La satire, dernier bastion de la liberté d’expression dans les médias arabes ?

Si les révolutions arabes ont permis de créer le terreau fertile à l’apparition de médias comme Al Hudood, il n'empêche que le journal suscite parfois la controverses à la publication de certains articles, ce que raconte Lo’ai : Nous avons beaucoup écrit sur Daech ou sur la culture islamique, ce qui nous a valu des menaces et des discours haineux. Cependant notre objectif avec la satire n’est pas de blesser l’opinion des autres, mais de donner la nôtre afin d’ouvrir le dialogue.

La nature satirique d’Al Hudood lui permet de parler plus facilement de sujets délicats dans la région, comme la religion ou la politique, et de contourner les sévères restrictions de liberté d’expression qui demeurent actuellement en Jordanie, précise t-il. L’avantage de la satire, c’est que ça permet de transmettre des idées et des pensées de manière plus efficace. Quand on fait passer un message avec le rire, on touche plus facilement le lecteur.
Une liberté également apportée par son modèle économique, qui s’appuie principalement sur des partenariats avec des organisations internationales et locales en phase avec ses valeurs, lui évitant ainsi d’être dépendant des pouvoirs en place comme les autres médias, et donc d’être soumis à la censure.

 

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Al Hudood

 

 

Former la nouvelle génération de caricaturistes

Il y a deux ans, Al Hudood décide d’aller plus loin en formant des journalistes au style satirique. Une formation de cinq jours réalisée en partenariat avec CFI, et ouverte aux jeunes jordaniens souhaitant découvrir les bases de la satire. Un cursus qui, s’il est proposé uniquement en Jordanie pour le moment, pourrait s’étendre à d’autres pays du monde arabe afin de créer une nouvelle génération de caricaturistes.
Notre région a un large héritage de spectacles et programmes satiriques. Nos ateliers sont une manière de développer et diffuser cet héritage en permettant à plus de voix de se faire entendre, explique Lo’ai. Un métier qui semble plus que jamais en danger aujourd’hui, et n’en reste pas moins indispensable pour garantir la liberté d’expression dans la région.